Iran intime

Le journaliste franco-iranien Armin Arefi dépeint avec justesse et nuances la société de la République islamique.

Pouria Amirshahi  • 6 mars 2019 abonné·es
Iran intime
©photo : Le régime est contraint de prendre la société iranienne comme elle est désormais : connectée, éduquée, tournée vers le monde… crédit : Fatemeh Bahrami/Anadolu Agency/AFP

Précieux pour qui veut comprendre l’Iran d’aujourd’hui, ce livre est inclassable. Tout à la fois journal intime, carnet de voyage, guide touristique, l’ouvrage d’Armin Arefi est d’abord une plongée dans la société iranienne et une observation attentive de la tectonique des plaques géopolitiques de l’Iran. À travers ses yeux, ses oreilles, à cœur ouvert aussi (quand ce n’est pas à nu…), notre confrère de l’hebdomadaire Le Point dresse une galerie de portraits – des gens, mais aussi des lieux – aussi variés que l’est ce pays aux mille paradoxes et à l’unité aussi ancienne que fragile. On craint un moment que le récit se cantonne aux seules histoires mille fois lues et entendues sur cette classe moyenne téhéranaise qui sait parfaitement contourner les interdits de toutes sortes, on suit finalement avec plaisir le jeune Franco-Iranien dans son périple exceptionnellement riche où chaque anecdote, y compris ses impasses sentimentales ou sexuelles, en disent plus sur le pays que bien des colloques.

Pauvres délaissés, immigrés afghans maltraités, minorités ethniques et culturelles méprisées, inégalités sociales et territoriales de plus en plus marquées… L’auteur veut offrir un regard à 360 degrés, sans tenter de nier la réalité de cet « autre » Iran sincèrement attaché au régime, à ses préceptes et à ses milices bassidji ou pasdaran. On écoute la jeunesse qui a cru l’avenir possible après la signature de l’accord sur le nucléaire en 2015, qui n’y croit plus après le retour des sanctions américaines. On découvre les caciques du régime soucieux (les plus mesurés) ou contraints (les plus orthodoxes) de prendre la société iranienne comme elle est désormais : éduquée, connectée, tournée vers le monde, tout à la fois résiliente et inventive, entreprenante, mais aussi en colère et sans illusion.

Si, à l’image de la couverture et dans la continuité de son précédent livre sur l’Iran (1), les femmes – déterminées et lucides – restent pour l’auteur les héroïnes du peuple iranien, les hommes ne sont pas oubliés. Pourtant grands « gagnants » de l’instauration de la République islamique, on les sent souvent résignés politiquement et frustrés économiquement. La contextualisation géopolitique, moyen-orientale et internationale, relève d’un souci pédagogique constant et réussi : l’encerclement du pays par des bases militaires états-uniennes (en Israël et en Arabie saoudite), la présence politico-militaire en Irak, en Syrie, au Liban, la diaspora qui se retrouve en Russie pour la Coupe du monde ; et la crainte de voir Trump faire triompher les durs… et la guerre. En attendant, de nouveau, les Iraniens rêvent d’un ailleurs improbable…

(1) Dentelles et Tchador, Éditions de l’Aube, 2009.

Un printemps à Téhéran, la vraie vie en République islamique Armin Arefi, Plon, 288 pages, 21,90 euros.

Idées
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