Caroline Mécary : « L’ouverture de la PMA sera une sécurité pour l’enfant »

Un projet de loi va autoriser la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et les femmes seules. Une étape décisive selon Caroline Mécary.

Ingrid Merckx  • 24 juillet 2019 abonné·es
Caroline Mécary : « L’ouverture de la PMA sera une sécurité pour l’enfant »
© photo : Une pancarte pro-PMA à la Marche des fiertés LGBT de Rennes, le 8 juin 2019.crédit : Maud Dupuy/Hans Lucas/AFP

Auteure des « Que sais-je ? » sur L’Adoption, Les Droits des homosexuel/les, Le Pacs et L’Homophobie, Caroline Mécary ajoute à la collection un titre consacré à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui (1).

Depuis une dizaine d’années, cette avocate aux barreaux de Paris et du Québec accompagne des familles qui partent à l’étranger pour avoir recours à ces pratiques et se retrouvent face à des difficultés juridiques en France_. « Ces parcours nous conduisent aujourd’hui à réinterroger nombre de choix retenus par le législateur en 1994 »,_ écrit-elle. L’ouverture des techniques d’assistance médicale à la procréation compte en effet parmi les sujets les plus débattus de cette révision 2019 de la loi sur la bioéthique, avec la levée de l’anonymat sur le don de gamètes. Présenté en conseil des ministres fin juillet, le texte doit entrer en discussion à l’Assemblée nationale fin septembre.

Pourquoi la PMA s’est-elle imposée comme sujet phare dans le débat sur la révision des lois de bioéthique ?

Caroline Mécary : La question de la PMA regroupe toutes les problématiques d’infertilité, qu’elle soit pathologique ou sociologique (un couple de même sexe ne peut pas procréer). L’ouverture de la PMA suppose que l’on quitte le modèle hétérosexuel traditionnel et dominant à 95 %. Elle concerne aussi les femmes célibataires, ce qui pose la question de savoir si une femme peut avoir un enfant sans qu’il y ait, au moment de la naissance, un père ou une deuxième mère pour cet enfant.

Dans deux avis parus respectivement en juin 2017 et en septembre 2018, le Comité consultatif national d’éthique explique pourquoi cette ouverture, dans les deux cas, ne pose pas de problème éthique.

Quelles réticences persistent vis-à-vis de l’ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules ?

Cette ouverture ne gêne en réalité que les plus conservateurs. Soit l’Église catholique et la Manif pour tous, lesquelles se rejoignent pour dire qu’on devrait même ne pas pouvoir concevoir un enfant avec un tiers donneur. Au début des années 1990, quand on a commencé à débattre de l’encadrement des techniques médicales d’aide à la procréation, certains prétendaient qu’il n’était pas possible de concevoir un don de gamètes ou d’ovocytes autrement que comme un adultère. Aujourd’hui, le vocabulaire diffère, mais le discours demeure : pas de conception « en dehors » de la procréation charnelle. C’est une opinion, d’ailleurs contredite par les législateurs des pays membres du Conseil de l’Europe : 14 d’entre eux autorisent les PMA aux couples de femmes, et 26 à des femmes célibataires.

À partir du moment où ces techniques existent et qu’elles sont accessibles aux couples hétérosexuels, qu’est-ce qui justifie qu’elles ne soient pas ouvertes aux couples de femmes ? Elles doivent pouvoir être utilisables par tous. La demande est identique : pouvoir bénéficier d’insémination artificielle avec un donneur dont il conviendrait qu’il ne soit plus anonyme.

Quel est le lien entre le débat sur le PMA et celui sur la levée de l’anonymat sur le don de gamètes ?

On constate depuis quarante ans que l’anonymat du donneur pose problème aux enfants conçus par don. Il y a aujourd’hui un mouvement favorable à la levée de cet anonymat. En 1994, on assumait de permettre aux hommes qui avaient bénéficié d’un don de gamètes de faire comme s’ils étaient les pères biologiques. Le don était réalisé dans le secret. La loi permettait ce mensonge d’État. C’est toujours le cas. Par le jeu de la filiation anciennement dite « légitime » (la procréation charnelle) et le truchement de la présomption de paternité, le mari de la femme qui accouche pouvait faire comme s’il était le père.

La question de l’accès non pas à un père (le donneur n’est ni un père ni une généalogie) mais aux origines a été posée. Le fait d’avoir imposé le secret a amputé les enfants conçus par don d’une partie de leur histoire, et pas seulement génétique : « Qu’est-ce qui fait que mes parents ont voulu que je sois là ? » Ces enfants n’ont pas forcément envie de savoir qui est le donneur, sauf quand ils redoutent de rencontrer une personne issue du même donneur, avec des risques de consanguinité. Et le père reste celui qui les a élevés.

Deux femmes ayant nécessairement besoin d’un donneur pour procréer, elles en informent évidemment leurs enfants. La demande des couples de femmes fait voler en éclat une culture du secret. La demande de protection des lesbiennes aboutit donc à une demande d’égalité des droits pour les enfants conçus par don, qui vient réinterroger un système conçu pour les couples hétérosexuels. L’hétérosexualité n’est pas une garantie de stabilité : combien de couples se défont ? Et le célibat n’est pas une fatalité : une célibataire peut rencontrer un homme ou une femme dans un avenir proche.

Pourrait-on imaginer un don complètement ouvert ?

Je trouve intéressante l’idée de « don dirigé » : qu’un couple de femmes vienne dans un Cecos (2) avec un ami acceptant de faire un don pour elles. Ce serait également une manière pertinente de pallier une éventuelle pénurie de dons de gamètes. Le donneur (ou la donneuse d’ovocytes) n’aurait aucune possibilité de revendiquer une quelconque filiation. La filiation étant ce lien juridique qui détermine les relations, les droits et les devoirs du ou des parents vis-à-vis d’un enfant, et les droits et les devoirs d’un enfant vis-à-vis de son ou de ses parents. Une telle possibilité va de pair avec la levée de l’anonymat des donneurs.

La définition de la PMA par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) inclut la GPA (gestation pour autrui). Pourquoi les distinguer ?

Nous sommes à une étape : la révision de la loi de bioéthique de 2011, qui ne prévoit en aucune manière la légalisation de la gestation pour autrui. Aujourd’hui, un contrat de GPA conclu en France est nul. Mais cette pratique est, en effet, une technique de PMA : la femme qui accepte de porter un enfant pour autrui subit une fécondation in vitro avec don de sperme et même souvent d’ovocytes. Plusieurs pays ont légalisé la GPA : le Portugal, le Royaume-Uni, la Grèce, Israël… D’autres la permettent sans l’encadrer : la Belgique, les Pays-Bas. Je travaille depuis plus de dix ans avec des couples hétérosexuels et homosexuels qui souhaitent fonder une famille. Si on veut lutter contre une exploitation de mères porteuses pauvres, la meilleure manière est d’empêcher les couples de Français qui veulent avoir recours à une GPA de se rendre à l’étranger. Et donc de légaliser la pratique en France selon nos principes, nos valeurs et toute une série de critères médicaux. La GPA ne relève pas d’une problématique d’égalité des droits, parce qu’elle concerne aussi les couples hétérosexuels. Elle est interdite à tous. Elle relève d’un choix politique. Je constate que ce choix n’est pas à l’ordre du jour.

Qu’éclaire l’opposition entre « droit à l’enfant » et « liberté de procréer » ?

Avoir un enfant n’est jamais une question de droit. Ce qui relève du droit, c’est la manière dont l’État garantit à l’enfant la meilleure protection qui soit. Le débat sur l’ouverture de la PMA permet de remettre à plat le mode d’établissement du lien de filiation des enfants conçus par don. Aujourd’hui, dans le code civil, il existe deux titres qui déterminent les modalités d’établissement de ce lien : le titre 7 « De la filiation » (procréation charnelle), qui pose le principe de présomption de paternité pour le mari et la reconnaissance de paternité pour le compagnon de la mère ; et le titre 8 « De la filiation adoptive », l’autre manière de devenir parent. Le projet de loi prévoit de créer un titre 7 bis « De la filiation par déclaration » : les parents qui auront recours à un don feront une déclaration de volonté irrévocable devant notaire les engageant à être parents.

C’est une filiation fondée sur l’engagement et une sécurité juridique pour l’enfant. Lors de la déclaration de naissance à l’officier d’état civil, la déclaration de volonté sera présentée à ce fonctionnaire pour qu’il établisse un acte de naissance d’emblée au nom des deux femmes ou de l’homme et de la femme qui auront recours à un don. En marge de la copie intégrale de l’acte de naissance, il sera indiqué dans les mentions marginales : « Vu la déclaration de volonté établie par… » L’enfant aura accès à toute son histoire de manière privée, car la copie intégrale n’est pas communiquée aux tiers.

Les couples de femmes passeront donc de l’article 8, sur l’adoption, à l’article 7 bis ?

Oui, et surtout l’enfant sortira de l’insécurité juridique. Pour l’instant, la mère sociale doit se lancer dans une procédure d’adoption à la naissance. Elle dure entre douze et dix-huit mois. Pendant cette période, si le couple se sépare, la mère sociale n’a aucun droit sur l’enfant, qui se retrouve privé de sa deuxième mère. Ce n’est pas le cas dans un couple hétérosexuel, même pour un enfant issu d’un don. Cette insécurité juridique peut aussi poser des problèmes de vie quotidienne pour la mère sociale quand elle accompagne son enfant à l’hôpital par exemple, sauf aux urgences.

Dans le préprojet de loi, il existe deux modalités d’établissement de la filiation. La première est une déclaration universelle pour tous les parents, hétérosexuels et homosexuels : elle me paraît la plus égalitaire pour les enfants nés par don. La deuxième est la même déclaration de volonté, mais réservée aux couples de femmes. Les enfants conçus par don dans un couple de lesbiennes auront accès à leur histoire et ceux conçus par don dans un couple hétérosexuel resteraient dans le secret des origines. C’est un traitement discriminatoire pour les enfants. Je défends la même sécurité pour tous ces enfants conçus par don. En permettant l’accès au don, l’État a une responsabilité vis-à-vis de tous ceux qui sont conçus ainsi, il doit garantir l’accès à leur histoire tout en étant respectueux de la vie privée.

Quelles oppositions s’expriment vis-à-vis de l’ouverture de la PMA ?

La manif pour tous est opposée à tout le processus de don. L’Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) voudrait une présomption de comaternité sur le modèle de la présomption de paternité (sauf que les tests ADN seraient inopérants en cas de recours). L’ouverture de la PMA va fracturer un peu plus la droite, mais ne mettra pas des foules dans la rue, même si un enfant sur 30 est issu d’une PMA. L’adoption concernait 485 pupilles de la nation et un peu moins de 1 000 enfants adoptés à l’étranger en 2017. Les bébés conçus par GPA doivent être autour de 500 par an, sur 765 000 naissances. Il existe un combat idéologique pour punir les parents qui ont recours à une GPA à l’étranger, avec des décisions illégales prises par des administrations. On parvient à les faire annuler devant les tribunaux, mais ce sont des procédures longues et coûteuses.

Concernant le coût de l’ouverture de la PMA pour la Sécurité sociale, la demande est qu’elle soit remboursée de la même manière que pour les couples hétérosexuels.

À quoi ressembleraient la « PMA de demain » et la « GPA de demain » ?

En matière de droit de la famille, on observe des avancées depuis les années 1960. La légalisation de la contraception en 1967 a donné aux femmes la liberté de procréer ou non – on n’est pas arrivé au bout de cette liberté, qui pourrait intégrer la procréation pour autrui. Puis il y a eu le divorce par consentement mutuel, l’IVG, le partage de l’autorité parentale, l’égalité des parents vis-à-vis des enfants. L’adoption du Pacs en 1999 a marqué la première reconnaissance juridique des couples de même sexe, avant le mariage pour tous en 2013. Aujourd’hui, l’ouverture de la PMA interroge la manière de fonder une famille avec les techniques médicales existantes. Pour la GPA, les esprits évolueront principalement parce que les problèmes d’infertilité vont croissant. On légalisera peut-être la pratique dans une dizaine d’années, avant de débattre, dans une trentaine d’années, du recours à l’utérus artificiel. Le droit, en ces matières, n’est que l’aboutissement des délibérations du corps social à un moment donné sur un sujet donné. Notre société ne cesse de redéfinir des limites au regard d’une configuration sociale qui évolue en permanence.


(1) PMA et GPA, Caroline Mécary, préface de Serge Hefez, PUF, « Que sais-je ? » 128 pages, 9 euros.

(2) Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains.