En souvenir du punk

Après une autobiographie publiée l’année dernière aux États-Unis, les Beastie Boys continuent de célébrer leur héritage avec un documentaire pour les 25 ans de Ill Communication.

Pauline Guedj  • 9 juillet 2019 abonné·es
En souvenir du punk
© crédit photo : Kevin Winter/afp

Juillet 1989. Les Beastie Boys (Mike D, MCA et Ad-Rock) viennent de sortir Paul’s Boutique, un grand disque de rap, celui, dit-on, qui contient le plus de samples de l’histoire. Le groupe a rendez-vous avec l’équipe « street » (« rue ») de sa maison de disques. L’objectif : s’assurer de la circulation de l’album dans les quartiers, ce que chez Capitol Records on appelle le SAP, « Street Awareness Program ». Le groupe écoute patiemment la proposition qui lui est faite : organiser un clash avec MC Hammer, figure phare de ce que l’on considère alors comme du rap facile, « mainstream ». Les bad boys blancs contre le Noir bien élevé. Les Beastie sont incrédules. « Nous n’avons rien contre lui. »

Fin de la discussion. Le morceau des Beastie Boys anti-Hammer ne verra bien sûr jamais le jour, mais la maison de disques se désintéresse d’un album pourtant annoncé comme le « Sgt. Pepper du rap ». Le public ne suit pas non plus. Le groupe est déçu. Il faut trouver une idée pour rebondir, et celle-ci sera complètement à contre-courant. Pour leur album suivant, les Beastie Boys louent un vaste studio où, pendant des mois, ils reprennent leurs instruments. Mike D est à la batterie, MCA à la basse et Ad-Rock à la guitare. Là, entre de longues séances d’écoute de disques sous une épaisse fumée de cigarettes (et pas que), ils enregistrent toutes les répétitions et renouent avec leur héritage punk et hardcore.

Le punk, c’est effectivement de là qu’ils viennent, et leur histoire est celle d’un groupe d’adolescents de New York qui jouaient au CBGB et autres institutions punks de la ville avant de tomber en adoration pour la musique du Bronx, du fin fond de Brooklyn et de Harlem : le hip-hop. Une histoire new-yorkaise en somme. Et l’autobiographie des Beastie Boys – un récit passionnant publié en anglais l’an dernier – comprend un magnifique texte de Luc Sante qui rappelle comment les sons de la ville, à une époque où les transistors étaient partout, formaient la plus exhaustive des compilations. Avec leur troisième disque, Check Your Head, ils mélangent les héritages et trouvent les boucles et les samples à partir de l’improvisation.

Ill Communication, leur quatrième disque, sorti il y a 25 ans, poursuit cette logique avec une maîtrise exceptionnelle. Dès les deux premiers morceaux, le ton est donné. « Sure Shot » est un titre hip-hop entêtant avec une boucle jouée à la flûte. Les trois jeunes hommes rendent compte de leur sens du rythme et d’une complicité folle lorsqu’ils se passent la parole et complètent leurs chorus respectifs. Puis vient le deuxième titre, « Tough Guy », hardcore, au tempo archi rapide, aux guitares explosives et aux mots clamés. Tout au long du disque, la ligne d’équilibre est maintenue. S’y ajoutent des morceaux instrumentaux funky : « Sabrosa », « Eugene’s Lament ». Les Beastie Boys lorgnent avec une égale aisance tout ce qui fait leur originalité dans le paysage musical d’alors. La liberté spontanée du punk, la sophistication du hip-hop et la culture musicale encyclopédique sur laquelle le genre repose.

Aujourd’hui amputés de l’un de leurs membres – MCA est mort en 2012 des suites d’un cancer –, les Beastie Boys sont dans la phase du souvenir. Ils n’enregistrent plus et se penchent sur leur héritage. L’année dernière, ils ont donc publié cette superbe autobiographie, un volume épais et ludique où ils retracent leur parcours et invitent des artistes à raconter leurs expériences « Beastie » (Colson Whitehead, Jonathan Lethem, Wes Anderson…). Pour l’anniversaire de Ill Communication, ils ont également édité Still Ill, un mini-documentaire sur l’enregistrement du disque. Le document est émouvant car il est toujours touchant de se remémorer la création d’une grande œuvre. Mais il a aussi une valeur inspiratrice. Avec une large dose d’impertinence et beaucoup de joie, les Beastie Boys n’ont cessé de redistribuer les cartes des genres musicaux et des assignations culturelles. Un parcours qu’il est bon de garder en mémoire.

Ill Communication, Beastie Boys, Capitol Records.

Still ill, Beastie Boys, Amazon Music. Documentaire (disponible en ligne) et album commenté par Michael Diamond et Adam Horovitz.

Musique
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