Résistance féconde

Avec Zone de confort, le photographe Myr Muratet présente un travail montrant l’existence des marginaux face aux divers dispositifs destinés à les chasser. Une exposition de forte intensité.

Christophe Kantcheff  • 23 juillet 2019
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Résistance féconde
© photo : Paris-Nord, Laurent et Patricku2009u2020, 2004. crédit : Myr Muratet

Les photographies de Myr Muratet occupent le vaste espace du Pavillon blanc, le centre d’art construit par Rudy Ricciotti à Colomiers, dans la banlieue de Toulouse. Dans l’acte de montrer, l’exposition n’est pas ordinaire : les photos, encadrées, sont posées sur le sol, s’appuyant contre les murs, ou réunies à plat sur des tables. Cette disposition est due au graphiste Mathias Schweizer, qui a sans doute ressenti la nécessité de ne pas trop installer les œuvres, de ne pas faire comme si elles « habitaient » classiquement l’endroit. Il y aurait eu un hiatus avec ceux qu’elles montrent, toujours sur le qui-vive d’un éventuel déplacement, sans domicile fixe ou au toit précaire, sans cesse repoussés, refoulés, niés.

L’exposition témoigne de plus de quinze années de travail pendant lesquelles Myr Muratet a arpenté des territoires que l’on voit souvent sans les regarder. Ces lieux déterminent autant de séries photographiques, commencées, pour la plus ancienne, en 2003, que le photographe ne referme jamais parce qu’il ne cesse d’y revenir. C’est la gare du Nord et ses recoins (« Paris-Nord »), les dessous du métro aérien entre Barbès et Jaurès, et les alentours (« CityWalk »), les terrains vagues des petites et grandes ceintures (« Wasteland ») ou Calais. Partout, il a rencontré les personnes qui s’y tiennent et vivent vaille que vaille jusqu’à ce que ce ne soit plus possible.

Parce qu’au moment où Myr Muratet a entamé ces séries, un autre phénomène est apparu, à ces mêmes endroits et contre ces populations, qu’il a intégré dans son travail et photographié de façon systématique : la mise en place de dispositifs, dits de « sécurité », destinés à les « contraindre », autrement dit à les chasser. Aux sièges qui n’offrent pas de possibilité de repos, aux divers pics, grilles et « enrochements » destinés à dissuader toute installation se sont ajoutés les plans Vigipirate multipliant les mesures de contrôle par les policiers, militaires et autres vigiles… « Dans mon travail, j’oppose un design de survie à un design de police », commente le photographe.

« Zone de confort » : l’ironie du titre de l’exposition concerne aussi le spectateur, appelé à ne pas chausser ses douillettes lunettes « humanistes ». Pas d’indignation facile ici, ni de dénonciation sans suite. Myr Muratet révèle ce qui s’élabore malgré la misère : la viabilité d’une existence, l’organisation d’une économie, la constitution d’une fierté. Dans les friches où les Roms vivent dans des bidonvilles, Myr Muratet n’est pas arrivé par le biais d’une association d’entraide humanitaire, mais en photographiant la flore pour un livre à venir (1). C’est ainsi qu’il s’est peu à peu lié avec eux, a découvert leur quotidien, s’y est fait des amis, échangeant avec eux désormais en roumain. Il n’empêche que cette familiarité n’ôte pas de son regard sa capacité à discerner la singularité des êtres et de ce qu’ils façonnent en terrain globalement hostile. L’œuvre de Myr Muratet est ainsi précieuse au sens fort du terme : elle est rare.

Zone de confort, Myr Muratet, Pavillon blanc Henri Molina, Colomiers, 05 61 63 50 00, jusqu’au 30 août.

Vient de paraître : Manuel d’écologie urbaine, Audrey Muratet, François Chiron et Myr Muratet, Les Presses du réel, collection « Al Dante », 119 p., 15 euros.


(1) Flore des friches urbaines, Audrey Muratet, Myr Muratet et Marie Pellaton, éditions Xavier Barral, 2017.

Culture
Temps de lecture : 3 minutes
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