Indécence et hypocrisie

Rapportée à l’importance des contributions soustraites à la collectivité, quatre ans de prison pour quatre millions d’euros, la peine prononcée contre Patrick Balkany n’a rien d’extravagant. Dès lors, les critiques et indignations qui ont accueilli ce jugement ont quelque chose d’indécent.

Michel Soudais  • 18 septembre 2019
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Indécence et hypocrisie
© crédit photo : THOMAS SAMSON / AFP

Le jugement qui a envoyé Patrick Balkany dormir en prison est sévère. Il est aussi rarissime, puisque, à en croire les chroniqueurs judiciaires qui ont la mémoire de ces choses, personne n’a souvenir que dans une affaire de fraude fiscale des juges aient réclamé une arrestation à l’audience. Est-ce pour autant hors norme ? Littéralement, non : la loi, qui rend le fraudeur passible de cinq ans ferme, les autorise à délivrer un mandat de dépôt. Rapportée à l’importance des contributions soustraites à la collectivité, quatre ans de prison pour quatre millions d’euros, la peine prononcée n’a rien d’extravagant.

Dès lors, les critiques et indignations qui ont accueilli ce jugement ont quelque chose d’indécent. Entendons-nous : que l’avocat d’un prévenu proteste contre le jugement qui frappe son client est dans l’ordre des choses. Qu’Isabelle Balkany, condamnée à trois ans de prison mais sans mandat de dépôt, se voit offrir de longs entretiens conduits par des journalistes saisis d’empathie est en revanche éminemment discutable. Surtout quand celle-ci, sur BFMTV, peut avancer pour sa défense, sans contradiction, des arguments balayés par l’enquête et soutenir que son couple a « consacré toute [sa] vie » à Levallois-Perret pour « rendre un peu de ce qui [lui] avait été donné » (sic). Voir des Levalloisiens crier à l’injustice devant leur mairie en dit long sur l’état de l’esprit public dans cette commune huppée. Mais les réactions les plus inconvenantes sont venues de la sphère politique.

Nicolas Sarkozy a ainsi fait part de sa « peine » pour son « ami d’enfance » et son épouse, avant de solliciter pour lui « un peu d’humanité », ce dont il ne se souciait pas quand, en 2016, il réclamait « le retour des peines planchers et de l’impossibilité des aménagements de peine pour toutes les peines jusqu’à cinq ans ». « Voir Patrick Balkany immédiatement incarcéré, c’est particulièrement sévère au regard de son état de santé et de son âge », s’est ému Jean-François Copé sur France Info. Il n’y a pas si longtemps, le même voulait créer un code pénal spécifique pour les mineurs et les sanctionner dès l’âge de 12 ans. Dans ce concert d’hypocrisie, le Rassemblement national ne fait pas exception. Alors que son parti n’a de cesse de dénoncer la non-exécution des peines prononcées, Nicolas Bay a vu dans le jugement frappant Patrick Balkany un « acharnement ». Les gens de droite si prompts à défendre le retour à l’ordre moral, si hostiles à tout « laxisme », conservent une propension intacte à s’arranger avec leur propre morale.

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Parti pris

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