Envolées célestes

Avec ce cinquième album, _Fly Fly_, la saxophoniste Céline Bonacina poursuit son étonnant voyage aux couleurs du monde.

Lorraine Soliman  • 13 novembre 2019 abonné·es
Envolées célestes
© Nathalie Courau-Roudier

Fly Fly : il faut l’écouter pour y entendre bien plus qu’un titre frais et léger. La hauteur et l’envol représentent une thématique filée dans l’œuvre de Céline Bonacina (son premier disque en leader s’appelait Vue d’en haut, en 2005). Une métaphore sans doute aussi ancienne que la musique, ressassée à l’infini sans perdre une once de son efficacité. Du moins quand elle est appliquée à bon escient.

En nommant ainsi son nouveau disque, la saxophoniste (baryton et soprano) ne s’y est pas trompée. C’est un élan irrésistible qu’elle et ses précieux condisciples ont su ériger en une musique de grande ampleur. Comme un écho, aussi, à la composition de son contrebassiste, le Canadien (établi à Paris) Chris Jennings, « Fly Fly to The Sky », où l’intelligence des deux musiciens atteint des sommets. On y entend des centaines d’heures de pratique et d’écoute partagées, autour du jazz au sens le plus épanoui du terme, donnant jour à une dégustation de beaux sons et de pulsions mutualisées.

Les renforts vocaux du batteur et percussionniste Jean-Luc Di Fraya sur certains morceaux élargissent encore la palette, déjà large, des couleurs du ciel et de la mer. Car c’est une dynamique aérienne et aquatique dans laquelle nous immerge Céline Bonacina durant 57 minutes. Son séjour fondateur à La Réunion, où elle a joué et enseigné entre 1998 et 2005, n’y est évidemment pas pour rien. Les sons de l’île la hantent et cultivent sans cesse son nuancier mélodico–rythmique.

Lorsque l’invité prodige Pierre Durand rejoint le trio, avec au bout des doigts une guitare capable de tant de vibrations, jusqu’à se prendre pour un sitar indien, l’auditeur retient son souffle. Les sonorités, parfois incroyablement proches de la voix humaine, qui s’échappent de son instrument entrent en résonance avec les arrondis et les plénitudes du saxophone baryton.

L’ensemble des treize compositions de Fly Fly, signées Céline Bonacina et Chris Jennings, révèle une nouvelle fois la puissance de l’imaginaire mélodique développé par la saxophoniste, ainsi que le bonheur des complicités musiciennes qu’elle sait construire depuis déjà de nombreuses années. Avec Jean-Luc Di Fraya, c’est encore une autre éminence de sensibilité rythmique qui se mêle à la sienne. Tout en finesse et en volupté, à l’affût du moindre mouvement, le percussionniste initie de magnifiques entrelacs. On le sent sur la même longueur d’ondes pulsées que Céline Bonacina.

Des musicalités alliées de ces partenaires de grooves succulents émerge une joie non dissimulée, puissant stimulant à la prise de risques. Car ce qui fait de Fly Fly un superbe objet d’écoute et une invitation au voyage (au minimum jusqu’à la prochaine salle de concert où se produira Céline Bonacina), c’est sans doute son acceptation de la fragilité de l’instant et sa volonté de naviguer sur la brèche. La participation du guitariste Nguyên Lê dans la mission technique du mixage parachève l’équilibre d’un tableau dont -l’éloquence est optimale.

Fly Fly (Cristal Records/Sony Music), en concert le 21 novembre au Studio de l’Ermitage, Paris XXe.

Musique
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