« Les Misérables », de Ladj Ly : La révolte des « no future »

Dans _Les Misérables_, Ladj Ly met en scène la vie quotidienne dans la cité des Bosquets, à Montfermeil, territoire d’âpreté, de violence et d’enfances.

Christophe Kantcheff  • 12 novembre 2019 abonné·es
« Les Misérables », de Ladj Ly : La révolte des « no future »
© Srab Films

Pourquoi Les Misérables, le premier long métrage de fiction de Ladj Ly, donne-t-il l’impression que la banlieue n’a jamais été vue ainsi ? Première raison : le réalisateur, qui a grandi dans la cité des Bosquets à Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, où se déroule l’action, connaît ces quartiers comme sa poche. Seconde raison, la plus déterminante : il n’a pas de lecture idéologique a priori. C’est trop souvent le cas chez des cinéastes qui pourtant s’en défendent, revendiquent au contraire une forme de pragmatisme sans se rendre compte qu’ils ont intégré tous les poncifs – exemple : « L’islam est le poison de la banlieue. »

Ladj Ly s’abstient de juger ses personnages, quels qu’ils soient, y compris les policiers. Chacun est plongé dans un univers chaotique avec ce qu’il est, ses qualités et ses limites, ce en quoi il croit ou non. Mais tous en font partie. Tous sont des « misérables », le cinéaste ayant repris le titre du roman de Victor Hugo non seulement parce que l’auguste écrivain est passé par Montfermeil, mais surtout parce qu’au lieu de jeter l’opprobre, il encourage les « pauvres gens » à bien s’occuper de leurs enfants. « Mes amis, retenez ceci, il n’y a ni mauvaises herbes, ni mauvais hommes. Il n’y a que de mauvais cultivateurs » : cette citation des Misérables, le livre, clôt le film.

On entre dans la cité des -Bosquets avec une équipe de trois « bacqueux » (de la BAC, brigade anticriminalité). Outre qu’ils jouent leur rôle de policiers autant qu’ils le subissent, ces trois-là sont ici comme des révélateurs de la violence physique et sociale. Ils sont eux-mêmes fort différents, et représentatifs de la diversité des origines des citoyens français qui vivent là : il y a le chef, Chris (Alexis Manenti), aux méthodes plus que discutables, Gwada (Djebril Zonga), plus calme en apparence, et Stéphane (Damien Bonnard), fraîchement muté, avec des principes, découvrant d’un œil neuf mais pas naïf cet environnement.

Ladj Ly connaît bien le travail et les comportements des policiers pour les avoir beaucoup filmés dans la réalité. Un axe essentiel de l’intrigue des Misérables est d’ailleurs fondé sur un épisode qui lui est arrivé : un jeune de la cité filme avec un drone une bavure commise par un des trois bacqueux. La vidéo revêt un enjeu crucial. Cette pièce à conviction devient l’objet d’une quête musclée où tous les coups sont permis. Elle donnera finalement lieu à une très belle scène entre Gwada et -Stéphane, où l’un renverra l’autre à sa conscience et à ses responsabilités.

Ladj Ly avait tourné un court métrage portant déjà le même titre – primé au festival de -Clermont-Ferrand. Les bases du long y étaient et le passage de l’un à l’autre est réussi, autant dans le rythme, l’énergie, l’occupation des espaces et le jeu des acteurs. Hormis les trois comédiens cités plus hauts et quelques autres, tous sont des non-professionnels recrutés sur place : ils sont d’une éclatante vérité. Les enfants compris, ce qui est heureux puisque le film s’attache plus particulièrement à leurs personnages.

Ces enfants subissent violences sur violences : celles engendrées par l’environnement – les cités sont délabrées et abandonnées –, par les difficultés sociales de leurs parents, par de pseudo-grands frères mi-médiateurs mi-combinards ou par les policiers… Ce sont les violences, en définitive, que leur impose toute une chaîne d’adultes objectivement favorables au statu quo. Les Misérables témoigne de la brutale révolte de ces enfants contre cet ordre oppresseur, contre le no future auquel on les accule. C’est un avertissement. Par un film qui en impose.

Les Misérables, Ladj Ly, 1 h 42. En salle le 20 novembre.

Cinéma
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