« Héritiers », de Nasser Djemaï : Les cercles de famille

Héritiers, de Nasser Djemaï, est une œuvre audacieuse qui clôt un cycle remarquable.

Gilles Costaz  • 29 janvier 2020 abonné·es
« Héritiers », de Nasser Djemaï : Les cercles de famille
© PASCALE CHOLETTE

Il y avait, cet hiver, trois pièces de Nasser Djemaï à l’affiche à Paris, et encore deux aujourd’hui ! Pas mal pour un ancien inconnu de Grenoble qui a persévéré sur le quadruple chemin de comédien, chef de troupe, auteur et metteur en scène. La maison de la culture de sa ville, la MC2, a eu l’intelligence de l’aider. De sorte qu’après ses premiers succès il a pu composer ces trois œuvres qui forment un ensemble théâtral plus qu’une trilogie.

Invisibles, qui était repris à la MC93 de Bobigny, est un bouleversant tableau de la solitude des « chibanis » – ces Algériens venus travailler en France et condamnés à une fin de vie désespérée dans les foyers de nos banlieues. Vertiges et Héritiers sont des regards sur la société française, telle qu’elle évolue – et telle que la représente l’écriture de Djemaï, qui elle aussi évolue.

On avait pu voir Vertiges il y a trois ans. Cette œuvre est reprise aujourd’hui à la Colline, à Paris. C’est un parfait tableau d’une famille issue de l’immigration algérienne, partagée entre deux cultures, où se retrouvent ceux qui n’ont rien perdu de leurs origines et ceux qui se sont intégrés jusqu’à l’oubli de leur culture.

Héritiers, en tournée, est la toute nouvelle pièce de Djemaï. Avec audace, il y change de cercle familial, en promenant son œil d’aigle dans la bourgeoisie, et de style, en donnant un cours plus libre à sa veine fantastique. Dans une grande maison déglinguée, plusieurs composantes d’une même parentèle essaient de vivre ensemble, mais ce n’est pas simple.

L’un des jeunes se prend pour un cinéaste et fait vivre la famille au rythme de ses scénarios et tournages imaginaires. Un couple, qui a, lui, les pieds bien ancrés dans la réalité, ne s’en sort pas, voyant sa bonté toujours rongée par l’urgence des factures à payer. L’aïeule passe régulièrement pour faire comprendre que sa maison, elle ne la prête pas, mais la loue ! Des figures étranges traversent le salon et, parfois, se confient ; ce sont les fantômes du lieu, les représentants d’un passé qui ne s’est pas effacé. Ces forces contradictoires cohabitent avant de mener à un dénouement quasi irréel.

Il y a une égale alacrité dans l’écriture de l’auteur et dans le jeu de comédiens rapides et mobiles (Anthony Audoux, Chantal Trichet, Sophie Rodrigues, David Migeot). Cette pièce laisse sans doute entrer trop de romanesque. Djemaï déserte l’observation émue de ses propres origines et, dans sa recherche de renouvellement, s’amuse à construire des structures et des surprises, tout en gardant pas mal de lui-même dans le personnage du cinéaste imaginaire. On est moins séduit, mais cette plume a de multiples ressources.

Vertiges, théâtre de la Colline, Paris XXe, 01 44 62 52 52, jusqu’au 8 février.

Héritiers, en tournée : Toulon, 14 février ; Lyon, 17-21 février ; Angoulême, 24-25 mars. Textes aux éditions Actes Sud Papiers.

Théâtre
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