Sans-abri : « Faut-il employer des moyens coercitifs ? Non, une prise en charge humaniste suffit. »

Aujourd’hui dans #lesdéconfinés. Sophie de Villeveyrac, travailleuse handicapée accompagne Alfred, sans-abri, confiné dans un jardin public fermé de Balaruc-les-Bains. Elle appelle les pouvoirs publics à prendre leur responsabilité.

Isabelle Demoyen  • 25 mars 2020
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Sans-abri : « Faut-il employer des moyens coercitifs ? Non, une prise en charge humaniste suffit. »
© Photo d'illustration : Alain Pitton / NurPhoto / NurPhoto via AFP

Je m’occupe depuis un an d’Alfred, sans-abri. Il est âgé de 64 ans, mais il paraît beaucoup plus vieux que son âge à cause de gros soucis de santé, et d’un parcours de vie chaotique. En plus d’une infection grave à la jambe et d’une addiction à l’alcool, il n’a plus toute sa tête. Il suit un traitement médical pour se soigner.

Alfred vit seul sur un banc dans le jardin public de Balaruc-les-Bains (Hérault). Je l’ai pris sous mon aile avec d’autres camarades et je lui ai fourni des couettes et du matériel de survie.

Ce matin, la police municipale a fermé le parc pour appliquer les mesures mises en place pour le confinement. Alfred se retrouve donc confiné dans le jardin, seul sur son banc. Je lui ai fourni un portable et l’appelle plusieurs fois par jour, quand il a de la batterie. La mairie a également fermé les robinets des fontaines publiques. Il n’a plus d’accès à l’eau et ne peut plus se laver les mains. Je lui ai fourni des gants, un masque et du gel pour ses mains.

Avant je lui apportais à manger, des clopes, de quoi survivre. Mais, depuis le confinement, c’est très compliqué pour moi, puisque je n’habite pas sur place. En plus, pour prendre ma voiture, il faut que je justifie mon déplacement.

#LesDéconfinés, une série de témoignages sur le travail et les nouvelles solidarités pendant le confinement. Nous cherchons des témoignages de personnes qui ne vivent pas leur confinement comme tout le monde. Si vous êtes obligés de sortir pour travailler ou si vous devez sortir pour créer de nouvelles solidarités (association, voisinage), racontez-nous votre expérience et envoyez-nous un mail.

Lundi dernier, je suis allée le voir en catastrophe, il n’avait plus de piles pour sa radio et n’avait pas suivi l’actualité. Alfred ne comprend pas ce qui se passe et pourquoi le parc a été fermé. Personne n’est venu lui expliquer la situation.

Le distributeur de la poste ne fonctionne plus. J’ai alerté le CCAS (centre communal d’action sociale), l’assistante sociale, la gendarmerie, la mairie de Balaruc-les-Bains, qui le connaissent bien. J’ai même alerté les médias locaux.

J’envoie des messages partout, pour trouver de l’aide. Une famille lui apporte encore de la nourriture, mais jusqu’à quand ? La municipalité a fermé le parc mais n’a pas jugé utile de prendre en charge Alfred. C’est simplement inhumain et méprisant, c’est une non-assistance à personne en danger. Les administrations se renvoient la balle et me répondent qu’Alfred refuse toute prise en charge. Ce qui est faux, selon moi. Hier, l’assistante sociale est enfin passée le voir pour lui apporter de l’eau, mais il lui manque encore du gaz pour son réchaud.

« Faut-il employer des moyens coercitifs… ? », m’a répondu de son côté la mairie de Balaruc-les-Bains. Non, à Balaruc-les-Bains, station thermale et balnéaire du Sud de la France, les hôtels sont vides et une prise en charge humaniste et sans contrainte serait pourtant facile à mettre en place. Si je vous confinais dans un centre surpeuplé, je ne suis pas sûre que vous apprécieriez.

Cet homme a travaillé toute sa vie, comme routier et maçon dans le secteur du bâtiment. Il est aujourd’hui à la retraite et en situation régulière. Tous ses papiers sont parfaitement à jour. Mais, il n’a plus de contact avec sa famille, restée en Pologne. Les curistes et habitants de Balaruc-les-Bains le connaissent bien et lui apportaient de quoi se nourrir. Mais aujourd’hui, il est seul et en danger.

Je l’implore de rester sur le banc, le temps de trouver une solution, mais il ne m’écoute pas toujours. Dimanche, j’ai dû aller le chercher à Sète, situé à quelques kilomètres, où il s’est retrouvé sans rien. Il s’était fait voler son masque, ses gants, ses vivres.

Société Santé
Temps de lecture : 3 minutes
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