Comme une lanterne magique

Une nouvelle expérience musicale pour l’ex-guitariste de Sonic Youth, Lee Ranaldo.

Jacques Vincent  • 22 avril 2020 abonné·es
Comme une lanterne magique
© Lee Ranaldo (ici en 2009) la joue onirique, voire méditatif.Photo : Mark Von Holden/AFP

Sonic Youth n’existe malheureusement plus – même si officiellement le groupe a seulement été déclaré en pause depuis 2011 –, mais ses membres continuent, chacun leur tour, de donner de leurs nouvelles à travers les publications de leurs derniers enregistrements. Le guitariste Lee Ranaldo est, avec Thurston Moore, le plus assidu dans cet exercice. Il a aussi été le premier à s’aventurer en dehors du groupe avec un disque réalisé en 1987 et a poursuivi ce chemin ces dernières années à travers différentes collaborations musicales.

Ce nouvel album est d’ailleurs le fruit de l’une de ces collaborations, avec Raül Refree, déjà producteur des deux derniers disques de Ranaldo. La nouveauté est que cette collaboration a été amenée à un degré supérieur pour un résultat cette fois entièrement conçu en commun. Une autre nouveauté, sans doute liée à la précédente, est une présence modeste des guitares, ce qui est pour le moins surprenant pour un disque de guitariste. Mais Lee Ranaldo n’est pas n’importe quel guitariste et on doit se souvenir que, comme les autres membres de Sonic Youth, il est avant tout intéressé par l’expérimentation des sons et des formes.

Dans Names Of North End Women, entièrement improvisé et composé en studio, prédominent les percussions, qu’elles proviennent des peaux, de surfaces métalliques ou de l’électronique, créant une sorte d’univers à la fois tribal et moderne, étrange surtout, et un charme – mot qu’il faut entendre dans son sens ancien – puissant et durable.

Comme s’il fallait prendre au pied de la lettre le titre du morceau d’ouverture, « Alice Etc. », on assiste dès les premiers pas à une traversée du miroir qui propulse dans un monde de ténèbres transpercé de lueurs vacillantes. Dans une réinvention de la lanterne magique en version sonore, des images chimériques apparaissent, projetées sur les parois d’un lieu incertain. L’instrumentation utilisée est souvent tout aussi incertaine. Les bruits ne sont pas exclus, mais le résultat n’est jamais bruitiste. Tout concourt à figurer un univers lointain et indéterminé. À suggérer plutôt, laissant l’auditeur le dessiner selon sa propre imagination.

Les textes, écrits en majeure partie par Lee Ranaldo, mais pour certains par l’auteur américain de science-fiction et de romans policiers Jonathan Lethem, peuvent être aussi bien chantés, susurrés ou simplement lus, dans une tradition très new-yorkaise au moins depuis le Velvet Underground. Ces différents modes d’utilisation des voix peuvent parfois se superposer dans un même morceau.

Le plus étonnant, et totalement réjouissant à parts égales, dans cette entreprise se réclamant ouvertement de musiciens comme Ryuchi Sakamoto et Steve Reich – plus dans l’esprit d’ailleurs que dans les structures musicales elles-mêmes et dans une matérialisation du fantasme que ces compositeurs aient pu un jour croiser le chemin de Syd Barrett – est l’incroyable richesse mélodique des -compositions.

Mais cette synthèse magnifiquement réussie entre une musique expérimentale et un format de chanson plus classique était déjà devenue avec le temps une des marques de fabrique de Sonic Youth, et sans doute une raison majeure du succès du groupe, de sa longévité et de la trace qu’il a laissée. Lee Ranaldo poursuit ce chemin sur un mode plus onirique, voire méditatif par certains aspects, notamment dans son approche du temps et du silence.

Names Of North End Women, Lee Ranaldo & Raül Refree, Mute/Pias.

Musique
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