« La banlieue a du cœur »

Depuis le début du confinement, des jeunes de la cité des Indes, à Sartrouville, s’activent et mobilisent leur quartier pour apporter paniers repas et produits d’hygiène aux personnels soignants.

Valentin Cebron (collectif Focus)  • 22 avril 2020
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« La banlieue a du cœur »
© Le collectif avec des membres du personnelnde l’hôpital d’ArgenteuilnPhotos : Valentin Cebron

Premiers jours d’avril : un ciel bleu surplombe la cité des Indes, à Sartrouville (Yvelines). Le temps radieux n’incite guère à rester chez soi. Et pourtant, hormis les gazouillis d’oiseaux, un calme plat règne au bas des blocs. Confinement général. Cet après-midi-là, dans la cité d’ordinaire animée, quelques habitants sont sortis faire des courses, gros sacs à la main. Au pied de leur immeuble, deux cousins calés dans une voiture écoutent de la musique, sono à fond, le temps d’une chicha. Car « descendre une petite heure dans la semaine, ça fait du bien », disent les deux jeunes, comme s’ils sortaient d’une interminable apnée. Mais, dehors, il y a surtout « les grands frères et sœurs de Sartrouville ». Depuis le début du confinement, ce collectif citoyen se mobilise chaque jour pour venir en aide au personnel soignant de l’hôpital de la ville voisine Argenteuil (Val-d’Oise).

« En août 2019, nous avons lancé des maraudes pour les personnes les plus vulnérables, comme les SDF et les migrants, explique Piroo, 27 ans et tête pensante de la bande. Aujourd’hui, les soignants sont justement vulnérables car ce sont eux qui sont les plus exposés au virus. On a donc décidé de les aider par nos propres moyens. » Dès le lendemain du démarrage du confinement, le collectif démarche des restaurateurs du coin. Objectif : apporter des paniers repas aux personnels hospitaliers d’Argenteuil. Un premier fast-food accepte. « Les grands frères et sœurs » partagent leur action sur Facebook. Puis l’initiative solidaire prend de l’ampleur. « Désormais, ce sont les restaurateurs qui nous sollicitent », précise Piroo. Près d’un mois plus tard, plusieurs centaines de burgers, pizzas, paninis, viennoiseries et autres denrées alimentaires ainsi que des boissons ont été distribués. Et plus : il y a quelques jours, un habitant a donné un sac de masques et des blouses.

« Si ma famille travaillait à l’hôpital, j’aimerais que l’on fasse la même chose »

Combien sont-ils ? « Les grands frères et sœurs, ce ne sont pas des chiffres, assure Piroo. C’est une famille : il y a aussi les papas qui soutiennent, les mamans qui préparent des gâteaux et des plats. Tout le monde donne un coup de main. Mais le but est quand même de ne pas sortir, donc on travaille généralement sur le terrain en binôme », poursuit-il, la voix assourdie par son masque. Sur l’attestation dérogatoire de sortie, les jeunes du collectif cochent la case « déplacements pour l’assistance aux personnes vulnérables ». Et, pour l’instant, ils n’ont pas eu de problèmes avec les forces de l’ordre, ni avec quiconque d’ailleurs. « En tout cas jusqu’à présent », s’amuse Piroo, alors que passe une voiture de police. En cet après-midi ensoleillé, il s’est entouré de ses irréductibles : Malik Bousslat, 28 ans, et Bilel Zekri, 24 ans. Placés tous les trois en chômage technique, ils récoltent les repas puis les livrent au centre hospitalier tous les jours. Omar Laacher, 23 ans, est venu prêter main-forte pour aller au supermarché et charger les courses dans sa voiture. « Demain, mes proches et moi serons peut-être malades. C’est normal d’aider. Si ma famille travaillait à l’hôpital, j’aimerais que l’on fasse la même chose pour elle. »

Le matin même, les quatre amis d’enfance ont livré des pizzas au personnel de la clinique de Maisons-Laffitte. Et, en 36 heures, le collectif a réussi à récolter 530 euros auprès des jeunes du quartier et des habitants de Sartrouville. Une somme réunie après un appel aux dons pour les patients qui ne peuvent plus recevoir de visite à cause du confinement et qui ont besoin de produits hygiéniques (gel douche, shampoing, mousse à raser, dentifrice, brosses à dents).

Chariots remplis puis chargés dans le coffre des trois voitures, direction ensuite le Delim’S Burger. Le gérant, Houcine Dahili, attend les bénévoles avec quarante sandwichs. « Si on peut aider ceux qui sont au front, c’est avec grand plaisir. Il y en a qui applaudissent aux fenêtres pour soutenir. Nous, c’est avec quelques gourmandises », sourit le restaurateur de 28 ans, qui prépare régulièrement des burgers pour l’hôpital.

Pour passer en voiture le portique de sécurité du centre hospitalier d’Argenteuil, plus besoin de se présenter. « Ils commencent à nous connaître maintenant », lâche Bilel, au volant. Une fois livrée leur récolte, un tonnerre d’applaudissements du personnel soignant se fait entendre. Malik : « À chaque fois que je vois l’accueil que l’on nous réserve, ça me donne encore plus de motivation pour continuer. »

« La situation est tellement difficile, le travail est si dur »

Ce jour-là, Piroo discute pour la première fois avec Lauriane Noury, responsable communication de l’établissement. C’est avec elle qu’il organise les livraisons. « Leurs actions permettent aux soignants de prendre une pause bien méritée et de ne pas avoir à se préoccuper le soir de préparer leur gamelle pour le lendemain. Et ils font ça dans le respect des consignes de distanciation et d’hygiène. C’est une aide appréciée et efficace », dit-elle. Il y a même Bertrand Martin, directeur de l’hôpital, venu remercier les jeunes de la cité des Indes. « C’est magnifique, lâche-t-il, ému. La situation est tellement difficile, le travail est si dur, que c’est extrêmement important pour le personnel de se sentir soutenu par la population et de voir de telles initiatives. »

Anne Debonne, infirmière hygiéniste, renchérit : « S’il y a bien une chose positive à retenir de cette crise, c’est la solidarité. C’est ça qui nous sauvera. » Sur la page Facebook du collectif, où la plupart des publications s’accompagnent du hashtag #LaBanlieueADuCoeur, une internaute résume : « Bravo ! Vous êtes des héros pour les héros. »

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