Les centres de rétention face au Covid-19 : dangerosité et droits bafoués

Les demandes pour fermer les Centres de rétention administrative (CRA) se succèdent depuis le début de l’épidémie. Mais les autorités restent sourdes et continuent d’enfermer des exilé·es, quitte à mettre leur santé en danger.

Pauline Josse  • 22 avril 2020
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Les centres de rétention face au Covid-19 : dangerosité et droits bafoués
© STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Youssouf* est arrivé il y a deux jours au centre du Mesnil-Amelot en Seine-et-Marne, tout juste après avoir purgé une peine de 18 mois de prison. Au téléphone, sa voix est hésitante. Il attend l’appel d’un avocat pour demander sa libération, mais n’a pas l’air de bien comprendre pourquoi il est à nouveau entre quatre murs. Les frontières pour rejoindre son pays d’origine, la Guinée, sont fermées depuis le début de la crise sanitaire en Europe. Elles ne rouvriront pas de sitôt.

« Je me sens en danger ici, mais on n’a pas le choix. Je partage ma chambre avec un autre retenu. Pour les repas, on mange tous ensemble dans une salle, à une trentaine de centimètres les uns des autres », bien loin du mètre exigé pour respecter la distanciation sociale et éviter la propagation du Covid-19. Selon le Guinéen, la majorité de ses co-retenus ont le même profil que lui, récemment sortis de prison après avoir purgé leur peine. « On est traité comme des animaux », souffle Mustapha, en situation irrégulière sur le sol français depuis 2004.

Entre 150 et 200 exilé·es sont enfermé·es en ce moment dans les 23 CRA que compte le territoire – hors Mayotte. Ils étaient environ 900 avant le début du confinement. Certains centres ont été presque entièrement vidés de leurs occupants, remis en liberté faute de perspectives d’expulsion. Mais pour celles et ceux qui restent ou ont été enfermé·es depuis, des similitudes dans leurs parcours interrogent David Rohi, responsable rétention à la Cimade :

La plupart d’entre eux sortent de détention. Le CRA n’a pas vocation à être un lieu d’enfermement, mais est un lieu d’expulsion. Or avec la fermeture des frontières, ces expulsions sont rendues quasi impossibles. La stratégie du gouvernement pose un problème fondamental en matière de légalité et d’éthique. Ces gens ont déjà purgé leur peine.

Discriminations sanitaires

Une double peine pour des exilé·es qui, en plus de ne pas comprendre les motifs de leur enfermement, se retrouvent discrimé·es face au risque de contamination au coronavirus. Les alertes d’acteurs associatifs, de parlementaires et d’autorités indépendantes s’accumulent depuis début mars pour demander la fermeture immédiate de tous les CRA du territoire, à défaut de garanties sanitaires suffisantes. Elles sont restées, pour l’heure, lettre morte.

Lire > La France continue de retenir et d’expulser, le Conseil d’État saisi

La dernière en date émane de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté. Dans une lettre adressée au ministre de l’Intérieur le 20 avril et après des visites au CRA de Vincennes et du Mesnil-Amelot, Adeline Hazan constate des manquements graves en termes d’infrastructures et d’équipements pour protéger du virus les retenus ainsi que les fonctionnaires.

Ces visites m’ont (…) permis de constater que le respect des gestes barrières est impossible en raison du manque d’information et d’équipement, des conditions d’hygiène déplorables, de l’agencement architectural et des conditions de vie imposées aux personnes retenues.

Deux jours plus tôt, le 18 avril, le Défenseur des droits Jacques Toubon alertait lui aussi la place Beauvau, s’interrogeant sur « _la pertinence et la légalité du maintien en activité de ces centres » et réitérant son appel « à la fermeture provisoire des lieux de privation de liberté ».

Des discours à rebours de ceux tenus par les autorités jusqu’ici, notamment par la préfecture de Seine-et-Marne qui, en réponse aux sollicitations des associations, garantit que tout va bien au Mesnil-Amelot. Des kits d’hygiène seraient remis aux nouveaux arrivants, le gel hydroalcoolique y serait en libre accès, les retenus avec symptômes seraient isolés. Et surtout : aucun cas de Covid-19 ne serait identifié.

Pas de test, pas de cas

Pour Patrick Berdugo, vice-président de l’association des Avocats pour la Défense des Étrangers (ADDE), la communication préfectorale est risible : « Aucun test n’a été effectué au Mesnil-Amelot. Alors forcément, il n’y a pas de cas à chiffrer. » L’avocat juge la stratégie de l’État risquée, alors qu’au CRA de Vincennes neuf retenus ont déjà été testés positifs au virus. Des dizaines de fonctionnaires travaillant sur place ont également été contaminés.

Bien avant ces premiers diagnostics, l’ADDE mettait en garde le ministère de l’Intérieur du risque de formation d’un foyer de contamination au CRA de Vincennes. Sollicité en référé par des syndicats et des associations, le tribunal administratif de Paris a ordonné le 15 avril qu’il n’y ait plus aucune nouvelle admission au CRA de Vincennes pour une durée de 14 jours.

« Les CRA font partie des rares services de l’État pourtant non indispensables qui ont été maintenus à tout prix, alors qu’ils mobilisent un nombre important de fonctionnaires et ralentissent aussi le fonctionnement de la justice », constate David Rohi. Un inquiétant présage, selon lui, quant à la politique migratoire qu’entend mener le gouvernement après le confinement, dès lors que les frontières seront ouvertes et les expulsions à nouveau possibles.

* Le prénom a été modifié

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