Steven Soderbergh : Gros plan sur un virus

Contagion, de Steven Soderbergh, sorti il y a près de dix ans, connaît un vif succès sur les plateformes en ligne. L’occasion de revenir sur la carrière d’un réalisateur incontournable et sur un film à l’efficacité implacable.

Pauline Guedj  • 8 avril 2020
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Steven Soderbergh : Gros plan sur un virus
© L’équipe du film pose durant le 68e Festival de Venise, le 3 septembre 2011.Photo : PASCAL LE SEGRETAIN/AFP

Depuis la fin des années 1980, Steven Soderbergh fait figure de pionnier. Lorsqu’en 1989, à 25 ans, il remporte la Palme d’or pour Sexe, mensonges et vidéo, le succès du film redéfinit les contours du cinéma indépendant américain. Plus tard, au fil d’une carrière faite de blockbusters (Erin Brockovich, la trilogie des Ocean’s), d’échecs commerciaux (À fleur de peau, Full Frontal) et de films intimistes (Girlfriend Experience, Bubble), il ne cesse d’expérimenter de nouveaux modes de narration et de nouvelles techniques.

En 1999, avec L’Anglais, qui reste peut-être son plus beau film, le cinéaste repense complètement l’œuvre en salle de montage, déstructurant son propos et signant un récit décisif sur la mémoire. L’année suivante, avec Traffic, il endosse, sous le pseudonyme de Peter Andrews, le rôle de chef opérateur, fonction qu’il revêt depuis systématiquement, et qui lui permet de tester des outils. La liste est longue mais, au hasard, citons le prototype de la caméra vidéo Red dans son biopic sur Che Guevara en 2008 et l’iPhone dans deux films récents, Paranoïa et High Flying Bird.

En termes de production et de diffusion, l’approche de Soderbergh est tout aussi innovante. Il produit et distribue seul Logan Lucky en 2017, réalise des films pour la télévision, Ma vie avec Liberace en 2013, compte à son actif deux séries (l’extraordinaire The Knick) dont il a réalisé, cadré, éclairé et monté tous les épisodes. Surtout, il est le premier réalisateur à avoir coordonné la sortie d’un film sur une plateforme en ligne et dans les salles. Le film s’appelait Bubble. Nous étions en 2005.

Depuis le début de la crise du Covid-19, Contagion, réalisé en 2011, connaît un succès inédit sur les plateformes. S’il faut évidemment y voir un concours de circonstances dû à la crise que nous traversons, la description d’une pandémie étant au cœur du film, il est tentant de noter l’ironie du sort. Steven Soderbergh, pionnier de la diffusion en ligne, est, à l’heure où nous passons tous tellement de temps devant nos écrans, l’un des réalisateurs les plus « streamés » au monde.

À de multiples égards, Contagion résonne avec la situation actuelle. Le film raconte la -propagation globale d’un virus, le MEV-1, sur une durée précise de 135 jours. On y suit la patiente zéro, interprétée par Gwyneth Paltrow ; son époux, l’immunisé Matt Damon ; plusieurs médecins et administrateurs américains et internationaux, joués par Laurence Fishburne, Kate Winslet, Elliott Gould et Marion Cotillard ; et un blogueur, incarné par Jude Law. Le film voyage de Hongkong à Londres en passant par Minneapolis, San Francisco, Chicago et Macao. Les dialogues, pédagogiques, sont emplis de mots qui aujourd’hui pullulent dans l’actualité : distanciation sociale, cluster, R0, vaccins, et les fameux gestes barrières sont au cœur des préoccupations de chacun. Pour l’écriture du scénario, Scott Burns s’était entouré de spécialistes et le film a été salué par la communauté scientifique pour sa justesse.

Pour Soderbergh, Contagion présentait des défis de forme. Dans les nombreux entretiens qu’il a accordés à sa sortie, c’est sur cet aspect qu’il revient le plus. La propagation du virus le -passionne avant tout parce qu’il s’agit pour lui d’un sujet essentiellement cinématographique. Depuis 1998 et le jubilatoire Hors d’atteinte, il n’écrit plus les scénarios de ses films. Son approche est alors toujours formelle. Comment transformer la matière écrite par un autre en cinéma ? Comment trouver le traitement visuel qui rendra justice au scénario ?

Sur son aspect purement formel, Contagion est un film fascinant, d’une constante inventivité. La mise en scène est sobre, chirurgicale, toujours précise et élégante. Jamais deux plans identiques dans une séquence, un jeu subtil sur les flous, la profondeur de champ et la composition des cadres, et une structure en boucle glaçante qui montre de manière implacable les mécanismes de la propagation du virus. L’utilisation du casting, une ribambelle de stars, est aussi, au-delà de l’aspect marketing, un magnifique outil de narration qui permet aux spectateurs de suivre l’action au plus près, d’identifier les lieux et l’avancée de la maladie.

Contagion est un film d’horreur, au sens classique du terme, qui suit un monstre invisible à l’échelle globale. On s’y concentre sur des objets qui circulent et passent de main en main. Dans la scène d’ouverture, Gwyneth Paltrow est à l’aéroport de Chicago. Elle tousse, se saisit d’un verre, puis de son téléphone portable et mange des cacahuètes. Elle donne sa carte bleue à la serveuse qui la passe dans une machine et tape le montant de l’addition sur un écran tactile. Puis nous partons à Hongkong où un jeune homme, visiblement malade, monte à bord d’un bateau, prend le métro, embrasse sa compagne, puis touche les boutons d’un ascenseur. La diffusion du virus est visible à l’écran et le spectateur perçoit par la gestuelle des acteurs et la circulation des objets les logiques incontournables du danger.

Avec Contagion, Steven Soderbergh n’en était pas à son premier essai sur les dynamiques de globalisation. En 1999 déjà, Traffic revenait sur la propagation de la drogue entre plusieurs espaces des Amériques. Plus récemment, The Laundromat – une comédie peu vue en France puisque uniquement disponible sur Netflix –était consacrée à la circulation des capitaux et à l’affaire des Panama Papers. Soderbergh n’a pas son pareil pour mettre en image ses sujets éclatés, multi-situés, et les trois films impressionnent par leur maîtrise.

Contagion est disponible en VOD.

Cinéma
Temps de lecture : 5 minutes
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