Biodiversité : les sciences participatives peuvent-elles changer notre rapport à la nature ?

Aujourd’hui dans #DéconfinonsLesIdées, nous interrogeons Anne Dozières, directrice de Vigie-Nature du Muséum national d’histoire naturelle, sur le rôle des sciences participatives dans la prise de conscience écologique. Selon elle, une collaboration entre citoyen·nes et scientifiques est précieuse pour en savoir plus sur l’état de la biodiversité et agir sur les pratiques individuelles néfastes à l’environnement.

Vanina Delmas  • 22 mai 2020
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Biodiversité : les sciences participatives peuvent-elles changer notre rapport à la nature ?
Photo : Couple d'ordonates (©Michel Soudais).

Pendant le confinement, les images d’animaux sauvages faisant irruption près des villes, dans les quartiers résidentiels ou les ports sans activité ont fait sensation dans les médias et les esprits de certains citoyens. D’autres ont profité de ce temps de pause pour observer plus minutieusement oiseaux, insectes, papillons venant survoler leur espace de vie, et ont étoffé les données du programme de sciences participatives du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), Vigie-Nature. Pour Anne Dozières, directrice du programme, l’apprentissage est un terreau précieux pour changer progressivement de regard sur la nature.

Pouvez-vous définir ce que sont les sciences participatives ?

Anne Dozières : Les sciences participatives concernent des projets de recherche impliquant des citoyens volontaires et non professionnels. Cela existe en astronomie, en sciences de la santé, en psychologie, mais historiquement, c’est plutôt dans les sciences naturelles qu’on y a recours. Au Muséum, nous avons trouvé des sources datant de plusieurs siècles qui montrent l’implication d’amateurs éclairés dans les recherches scientifiques, notamment par la récolte d’échantillons et la constitution de collections d’insectes par exemple.

Concernant la forme actuelle du programme Vigie-Nature, le plus ancien des projets a fêté ses 30 ans l’année dernière : c’était le Suivi temporel des oiseaux communs (STOC) et s’adressait aux ornithologues amateurs. Depuis une dizaine d’années, des programmes sont accessibles au grand public.

Quel est le principal avantage des sciences participatives pour l’étude de la biodiversité ?

Ces programmes permettent de démultiplier la pression d’observation et de recevoir des données concernant des espaces privés, habituellement inaccessibles aux chercheurs. Nous avons besoin de beaucoup de données, au niveau spatial et dans le temps, pour observer l’évolution des populations animales et végétales. Toutes ces informations citoyennes sont précieuses pour étudier les changements globaux, c’est-à-dire toutes les grandes modifications de l’environnement liées aux activités humaines (réchauffement climatique, impacts de l’urbanisation, agriculture intensive…), et mesurer finement le déclin de la biodiversité qu’on perçoit, ressent, observe.

Ainsi, il y a deux ans, nous avons pu montrer que le nombre d’oiseaux agricoles avait diminué de plus de 30% en vingt ans en France, et nous avions constaté un déclin de 30% des papillons de prairie à l’échelle européenne. Pendant le confinement, les scientifiques ne pouvaient plus aller sur le terrain, donc nous avons lancé un appel avec la Ligue de protection des oiseaux «Confinés mais aux aguets» afin d’inciter les personnes ayant des jardins, balcons, terrasses à prendre le temps de regarder ce qui se passe près de chez eux. Plus de 15.000 nouvelles personnes se sont inscrites et ces données nous aideront à comprendre les effets du confinement sur la biodiversité.

Qui sont les participant·es à ces programmes et quelles sont leurs motivations ?

Nous savons qu’il y a environ 55% de femmes, que ce sont plus souvent des retraité·es, et que la plupart appartiennent à des catégories socioprofessionnelles qui ont fait des études. Mais 80% des participant·es avaient très peu voire pas du tout de connaissances à propos des espèces observées ! C’est important pour nous de faire entendre que ces activités sont à la portée de tous et que les outils mis en place (guides, fiches d’identification…) permettent facilement de reconnaître les espèces, de progresser et d’y prendre goût ! Les motivations sont multiples : participer à un effort collectif, un bien commun, aider la recherche scientifique, la préservation de la biodiversité, mais aussi des intérêts plus personnels comme l’envie d’apprendre ou de pratiquer une activité dans la nature.

Participer régulièrement à ces programmes d’observation engendre-t-il des changements de comportements radicaux ?

Politis lance la série #DéconfinonsLesIdées. Chaque jour, nous soulevons une question qui répond à la crise du #covid19 et à ses causes profondes, et proposons une solution grande ou petite. Une série pour inspirer votre réflexion et susciter le débat.
Le premier effet quasi général est le changement de regard porté sur la nature. Beaucoup affirment qu’ils ont découvert une biodiversité insoupçonnée et très riche autour de chez eux. Observer permet d’affûter le regard et incite à différencier les espèces. Dans un second temps, on perçoit les progrès dans l’apprentissage : au fil des semaines, les erreurs d’identification diminuent et certains deviennent même de vrais spécialistes. Enfin, on note des changements de pratiques dans les jardins avec une diminution drastique des produits phytosanitaires et des pesticides ! Ces évolutions sont également notables chez certains professionnels avec qui nous travaillons.

Pour les gestionnaires d’espaces verts, ce sont des outils accompagnant leur transition. D’ailleurs, des études ont montré que participer à ces programmes sur la biodiversité avait encouragé des changements de politiques publiques (passage au zéro phyto, à la gestion différenciée…). Quant aux agriculteurs, ils passent d’un rôle de pollueurs, destructeurs de nature à des membres actifs d’un projet de préservation de l’environnement et cela leur permet de mieux comprendre les comportements de la biodiversité en milieu agricole.

L’éducation à l’environnement serait donc une clé pour une prise de conscience écologique pérenne ?

Nous ne tenons pas de discours culpabilisateur mais nous souhaitons amener les citoyens à s’intéresser à la nature, à s’en émerveiller et à faire eux-mêmes l’expérience de ces observations : ils comprennent alors les effets dévastateurs de certains produits et changent par eux-mêmes. Par exemple, l’utilisation d’un seul pesticide dans un jardin peut diminuer de moitié le nombre de papillons présents ! Ces données sont très connues dans le monde agricole, beaucoup moins à l’échelle des pratiques individuelles.

D’autre part, si on observe les oiseaux de son jardin sans les connaître, on ne remarque pas forcément le déclin de telle ou telle espèce. D’où la nécessité de toucher un large public, notamment les plus déconnectés de la nature. Et les enfants, par le biais de l’école, sont des acteurs importants car leur engouement pour la nature est souvent très fort, et le milieu scolaire permet d’avoir tous les milieux sociaux représentés. Nous avons donc développé le programme Vigie-Nature école. Nous avons vu ces dernières années que les mobilisations sur les questions environnementales et climatiques prenaient de l’ampleur, notamment chez les jeunes. Cela commence à émerger pour les problématiques de biodiversité mais nous sommes encore loin de la prise de conscience générale.

Pour aller plus loin sur le sujet, écoutez le podcast du Muséum national d’histoire naturelle

Idées
Temps de lecture : 6 minutes
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