Comparaisons européennes

Dans cette période d’incertitude, le pays avait besoin d’une denrée précieuse : la confiance. Il ne l’a pas. La gestion de la crise n’est pas seule en cause. Emmanuel Macron n’a pas mesuré la profondeur de la fracture qu’il a lui-même provoquée.

Denis Sieffert  • 6 mai 2020
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Comparaisons européennes
© Photo : Ian LANGSDON / POOL / AFP

À peu de chose près, tous les pays européens marchent d’un même pas. Ils entament ces jours-ci la périlleuse phase du déconfinement. C’est partout l’heure des incertitudes et de la peur. Et c’est aussi l’heure d’un premier bilan comparatif avec nos voisins. Une comparaison forcément simpliste. La statistique ne fait aucune part au hasard. Elle ignore par exemple qu’un rassemblement religieux à Mulhouse, ou un match de football à Milan ont pu précipiter la catastrophe et l’amplifier. Mais les premiers chiffres, même fragiles et provisoires, nous disent quelque chose du parallélisme des situations et des stratégies. Dans cet échelonnage funeste, c’est la Belgique qui détient le triste record des victimes du virus (68 morts pour 100 000 habitants). Puis viennent l’Espagne (54), l’Italie (48), le Royaume-Uni (42), et la France (38). Seule l’Allemagne fait beaucoup mieux (moins de 10). Mais c’est à l’Allemagne que nous aimons nous comparer. Et la différence est abyssale. Nous en connaissons les raisons : des tests précoces et massifs, des masques disponibles en grand nombre, et quatre fois plus de lits en soins intensifs qu’en France. Une politique de santé responsable, pendant que chez nous des choix désastreux étaient faits au début du quinquennat Hollande, et qui ont été aggravés par la suite. Et nous voilà guère mieux lotis que le Royaume-Uni de feu Margaret Thatcher… En matière sociale, on pourrait souhaiter comparaison plus flatteuse.

En vérité, ce ne sont pas tant les gestions de crise qui font la différence que l’état préexistant de nos systèmes de santé. Le ravage des délocalisations, les suppressions de lits, le mauvais sort réservé aux personnels soignants… Au milieu de cette épreuve, et en regard de bilans sanitaires finalement très proches, on aurait pu penser que les exécutifs recueilleraient le même niveau d’approbation (ou de réprobation) de la part de leurs opinions. Il n’en est rien. Au hit-parade de la popularité et de la confiance, notre Président est bon dernier, loin derrière ses homologues. Selon un sondage récemment paru, Emmanuel Macron est même devancé par le fantasque Boris Johnson, qui, avant d’être frappé lui-même par la maladie, plaisantait sur ce virus à la manière irresponsable d’un Donald Trump (1). Et il est loin derrière l’Italien Giuseppe Conte alors que les chiffres ne plaident pas en faveur de l’Italie. L’étude révèle que les Français sont les plus angoissés et les plus sceptiques sur la gestion de la crise. Laissons de côté l’anthropologie de comptoir de notre Président, qui fait de nous un peuple « chamailleur », et interrogeons-nous sur le pourquoi de cette défiance. Il y a des évidences. On ne dira jamais assez combien le mensonge sur les masques a, dès le début, jeté le discrédit sur la parole officielle. Il faut y ajouter une cacophonie gouvernementale qui renvoie à un trait caractéristique de notre façon de faire de la politique. En France, il faut savoir, même quand on ne sait pas. Même quand on parle d’une maladie que les scientifiques eux-mêmes découvrent de jour en jour. D’où d’incessants démentis et d’incessantes contradictions. Pauvre Sibeth Ndiaye, porte-parole imprudente d’une parole instable ! Il faut reconnaître que c’est Édouard Philippe qui, le premier, a osé avouer le doute. Le doute : une idée neuve dans notre République jacobino-bonapartiste. Mais le caractère vertical et plombant du discours présidentiel continue de faire des ravages. Le débat autour de la rentrée des classes en témoigne. La date du 11 mai, le choix de faire rentrer d’abord les petites classes – et au fond, pourquoi pas ? – ont été d’autant plus mal reçus qu’il n’y avait pas eu de concertations préalables. Or, il a bien fallu, à l’heure de l’intendance, solliciter les régions, les maires, les proviseurs, les enseignants. Et la verticalité a tourné à l’absurde quand le « décret » présidentiel s’est transformé en protocoles de dizaines de pages à lire et à appliquer en toute hâte. On s’est alors rendu compte que la distanciation physique ne serait pas facile avec des enfants de cinq ans… D’où la fronde des 332 maires d’Île-de-France, dont Anne Hidalgo. Vivre avec le doute n’est confortable pour personne. C’est d’autant plus insupportable avec un pouvoir qui prétend savoir quand il ne sait pas ou lorsqu’il veut dissimuler une vérité qui remet en cause sa politique.

Il n’a d’ailleurs pas le monopole de cette attitude. Les oppositions n’échappent pas à ce travers. Dans cette période d’incertitude, le pays avait besoin d’une denrée précieuse : la confiance. Il ne l’a pas. La gestion de la crise n’est pas seule en cause dans ce manque de crédibilité. Ni même peut-être la cause principale. Emmanuel Macron n’a pas mesuré la profondeur de la fracture qu’il a lui-même provoquée pendant le conflit sur la réforme des retraites. Il paye l’addition d’une politique menée depuis trois ans, marquée par le péché originel de la suppression de l’impôt sur la fortune. Les scores atteints par ses homologues, principalement Angela Merkel, prouvent que, même en temps de néolibéralisme, cette défiance n’est pas fatale. Elle interroge évidemment le pouvoir actuel, mais peut-être aussi, et plus généralement, des institutions qui méprisent traditionnellement les contre-pouvoirs et les corps intermédiaires, tout juste convoqués en temps de crise.

(1) Sondage Cevipof-Ipsos (Le Monde du 4 mai).

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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