Convention pour le climat : Objet de démocratie non identifié

Si la convention citoyenne est une institution inédite, voire aberrante, elle a le mérite d’aboutir, presque à l’unanimité des 150, à des mesures prônées par les ONG depuis des années.

Vanina Delmas  • 24 juin 2020 abonné·es
Convention pour le climat : Objet de démocratie non identifié
Les 150 participants à la CCC ont décidé de se constituer en une association, « Les 150 », afin de suivre leur projet.
© Katrin Baumann/Convention citoyenne pour le climat

istorique », « inédit », « le plan climat le plus ambitieux du monde », « un bel exemple d’intelligence collective »… Les compliments débordant d’emphase ne manquent pas pour saluer les neuf mois de travail des 150 citoyens tirés au sort à l’automne 2019 pour la première Convention citoyenne pour le climat (CCC). Laurence Tubiana, coprésidente du comité de gouvernance, a reconnu avoir pris « une sacrée leçon de civisme et de démocratie », et espère que le sérieux de la réponse gouvernementale sera à la hauteur de celui du travail des 150.

Répartis en cinq groupes de travail thématiques – se nourrir, se loger, se déplacer, consommer, produire et travailler –, ils ont planché sur des mesures allant de l’obligation de rénovation thermique des bâtiments, la mise en place d’un score carbone, la limitation progressive du transport aérien, jusqu’à la lutte intensifiée contre l’artificialisation des sols grâce à la réquisition des espaces vides, ou la régulation de la publicité…

La majorité de ces mesures a été adoptée avec plus de 90 % des votes. Mais les citoyens ont finalement décidé d’insister sur la nécessité d’un changement de société global et radical en proposant à référendum la création du crime d’écocide, qui pourrait engager la responsabilité des entreprises les plus polluantes – déjà rejeté par le Parlement l’an dernier –, et la modification de la Constitution. Serait inscrit dans le préambule : « La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l’environnement, patrimoine commun de l’humanité. » Et dans le premier article serait ajouté que « la République garantit la préservation de la biodiversité, de l’environnement et lutte contre le dérèglement climatique ».

Si le courage d’avoir mis sous le feu des projecteurs l’urgence climatique est unanimement salué, on peut pointer de grandes lacunes, comme le nucléaire ou la taxe carbone. Et la radicalité des mesures est relativisée par le rejet de celle proposant de « réduire le temps de travail sans perte de salaire dans un objectif de sobriété et de réduction de gaz à effet de serre ». Le contexte de crise post-Covid-19 a primé. « On constate que la CCC ne peut se résumer à des discussions binaires sur la réduction de la vitesse sur autoroute ou la rénovation des bâtiments. C’est un ensemble de processus qui s’est construit à travers la conscience de l’urgence climatique, la réflexion autour des possibilités d’y faire face, et une traduction légistique de l’ensemble de ce travail », analyse Maxime Gaborit, doctorant en science politique à l’Université Saint-Louis – Bruxelles et membre du collectif Quantité critique (1).

« La CCC a montré qu’en donnant toutes les informations à des citoyens tirés au sort, représentatifs de la population, ils produisent des propositions assez cohérentes, pouvant faire avancer la transition, décrypte Anne Bringault, responsable Transition énergétique pour le Réseau action climat. Et arrivent aux mêmes conclusions que les ONG, alors qu’on nous rétorque souvent que telle mesure ne peut pas être prise car les citoyens ne sont pas prêts. » Soit les arguments avancés par le gouvernement lors du mouvement des gilets jaunes à propos de la taxe carbone. Or, pour lancer véritablement la transition, un accompagnement social est vital. Une dimension inscrite dans l’ordre de mission des 150, « définir les mesures structurantes […] dans un esprit de justice sociale ». Et qu’ils ont parfaitement intégrée dans leurs propositions en prévoyant, par exemple, d’exempter les familles nombreuses, qui ont besoin d’une plus grande voiture, du malus sur les véhicules les plus polluants. D’ailleurs, les quelques critiques de dernière minute émises lors de la dernière session s’interrogeaient sur le fait que telle ou telle mesure soit assez juste socialement. Un changement de paradigme déterminant dans les mouvements climat et dans la société depuis environ deux ans. « Lorsque les gilets jaunes ont été taxés d’anti-écolos, certains ont développé un discours écologique prônant notamment le retour à la consommation locale, une fiscalité plus juste, une remise en cause de l’aménagement du territoire… Cela a conduit les mouvements climat et écologistes à imbriquer de façon plus étroite justice sociale et environnementale. Un mouvement de fond dans la société a infusé et ressurgit naturellement chez les 150 citoyens de la CCC », raconte Maxime Gaborit.

Outre le contenu passé à la loupe par de nombreux médias, chercheurs, avocats spécialistes en droit de l’environnement, la forme même de cette Convention citoyenne intrigue. Véritable ode à la démocratie participative ou instrumentalisation de la parole citoyenne par le gouvernement pour redorer et verdir son image ? Après l’échec du « grand débat », le doute est permis. « La Convention citoyenne pour le climat est une avancée et une régression à la fois, car elle s’est faite hors de tout cadre, alors que nous avons trente ans d’avancée en code de l’environnement », déplore Dominique Bourg, professeur honoraire de philosophie à l’université de Lausanne et coauteur de l’ouvrage Retour sur terre, déclinant 35 propositions pour une société verte, résiliente et démocratique (2). Selon lui, le gouvernement a été très astucieux pour donner l’impression d’être écolo-converti, de donner des gages à l’opinion publique sans passer à l’acte. « La nomination de Nicolas Hulot comme ministre a caché que le gouvernement ne souhaitait pas vraiment s’engager sur les sujets environnementaux, ainsi que la création des institutions telles que le Haut Conseil pour le climat, le Conseil de défense écologique et la Convention citoyenne pour le climat. Mais il faut souligner que le droit de l’environnement a été continuellement détricoté depuis le début du quinquennat ! »

Début 2020, le ministère de la Transition écologique avait été montré du doigt par la Commission nationale du débat public (CNDP) pour ses lacunes en matière de démocratie environnementale. En effet, saisie par la Ligue de protection des oiseaux, la CNDP a épluché seize dossiers sur un an, et observé que les consultations publiques sur des questions environnementales n’étaient pas bien gérées. Parfois, les avis défavorables arrivant en tête ne sont même pas pris en compte. Même mises en garde du côté de France nature environnement (FNE), qui regroupe 3 500 associations. « Il faut empêcher que les outils de concertation et de débat liés à l’environnement soient amoindris dans les territoires ! La transition écologique se fera par les territoires, et c’est déjà en cours, puisque les régions sont censées décider quel mix énergétique mettre en place. La Convention aurait pu avoir lieu dans tous les Ceser (3) de France », indique Élodie Martinie-Cousty, membre du bureau de FNE et présidente du Groupe Environnement et nature du Cese – qui accueillait la CCC dans ses locaux. Des critiques loin d’être anodines, mais ne remettant quasiment jamais en cause le recours au tirage au sort, et par conséquent la légitimité des 150 Français·es. Pourtant, ce sujet a animé de nombreuses discussions entre eux. « En effet, nous n’avons pas de légitimité institutionnelle, et cette convention est en quelque sorte le fait du prince, admet Guy Kulitza, l’un des citoyens tirés au sort (lire ci-dessous). Je pars du principe qu’on ne tient pas forcément notre légitimité de nos institutions, mais aussi parfois du peuple français. Si celui-ci nous donne son aval, nous aurons été légitimes pour faire ces 150 propositions et assurer le suivi. » Car ils n’ont pas dit leur dernier mot ! Loin d’être naïfs, ils ont décidé de se constituer en une association, « Les 150 », qui compte pour le moment environ 110 adhérent·es, afin d’échanger avec les politiques, les parlementaires, de l’opinion publique et surtout veiller à ce que leur projet ne soit pas dénaturé.

(1) Collectif de chercheurs et chercheuses en sciences sociales qui analyse des mouvements sociaux contemporains (climat, gilets jaunes…).

(2) Coécrit avec Gauthier Chapelle, Johann Chapoutot, Philippe Desbrosses, Xavier Ricard Lanata, Pablo Servigne, Sophie Swaton (PUF, juin 2020).

(3) Outre le Conseil économique, social et environnemental (Cese) à Paris, il existe un équivalent régional (Ceser) dans chaque région.

« Je pensais qu’on avait encore une cinquantaine d’années ! »

Citoyenne engagée, fraîchement élue maire de son village de la Sarthe, Mélanie Cosnier, 47 ans, a été tirée au sort pour participer à la Convention citoyenne pour le climat.

Septembre 2019 : Mélanie Cosnier reçoit un simple SMS lui demandant si elle veut participer à la Convention citoyenne pour le climat (CCC). Le temps d’une recherche sur Internet, elle accepte. « Je m’investis dans des associations depuis l’âge de 20 ans et je prends souvent des décisions rapidement, mais je m’investis toujours à fond dans ce que je fais. C’était une nouvelle occasion de donner mon avis et d’essayer de faire bouger les choses », confie-t-elle joyeusement.

Mélanie ne se considère ni écolo « militante » ni « radicale », mais elle a changé ses habitudes depuis plusieurs années : couches lavables pour sa dernière fille, en transition vers le zéro déchet, produits bio, locaux et de saison… Le dérèglement climatique et les rapports du Giec lui parlaient déjà, mais elle n’avait pas tout à fait pris conscience de l’urgence d’agir. « Je pensais qu’on avait encore une cinquantaine d’années ! Or, il faut vraiment changer de mode de vie dès aujourd’hui et transformer radicalement le système pour réduire les rejets de CO2. »

Pendant neuf mois, Mélanie a travaillé au sein du groupe « Se déplacer ». « Certains proposaient de supprimer toutes les voitures. Je leur ai suggéré de venir faire un stage chez moi pour constater que, sans voiture, on ne peut pas faire grand-chose », sourit-elle. Si elle essaye d’utiliser le moins possible sa voiture pour les petits trajets, elle sait qu’évoluer vers les mobilités douces en milieu rural reste compliqué. « Je n’habite qu’à 5 kilomètres de la grande ville la plus proche, mais c’est une départementale dangereuse, sans piste cyclable… Et dans mon village, il n’y a même pas de trottoir partout pour les piétons. Maintenant que je suis maire, j’espère accélérer tout ça ! »

Car, entre-temps, l’auxiliaire de vie à domicile est devenue l’édile de Souvigné-sur-Sarthe, 630 habitants, un peu par hasard. Et son expérience à la CCC lui donne déjà des idées. « Les habitants ne souhaitent pas forcément s’investir dans le conseil municipal, car c’est un engagement de six ans, mais j’aimerais les consulter sur des projets précis et pourquoi pas organiser des événements pour les informer de l’urgence climatique. »

« Qu’en sera-t-il pour mes petits-enfants ? »

Jeune retraité, quasi vierge de toute conscience écologique, Guy Kulitza, 61 ans, de la Haute-Vienne, a pris très au sérieux la question du climat et sa responsabilité de citoyen tiré au sort.

Quand les pensées de Guy Kulitza remontent au 4 octobre 2019, jour de la première session de la CCC au Conseil économique, social et environnemental, c’est l’intervention de la paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte qui prend toute la place. Ainsi que la « claque collective » qu’elle a engendrée. Le lendemain, ce retraité volubile a connu un « gros coup de déprime ». « Le monde m’est tombé dessus. En 2050, je ne serai pas loin de la fin, mais mes enfants, mes petits-enfants ? Hors de question de passer à côté de l’opportunité d’apporter notre vision de citoyen, et de cette possibilité de changer la société pour préserver notre monde pour les générations futures. » Guy insiste pour utiliser le « nous », car il a vécu ces neuf mois de travail, de recherches et de questionnements avec son épouse, même s’il a été le seul tiré au sort.

« Finalement, j’ai réalisé que je n’y connaissais pas grand-chose en écologie en dehors des petits gestes et des poncifs rabâchés. Or cela ne peut avoir de sens et d’efficacité que dans un mouvement plus global, qu’en étant en rupture avec le système de consommation actuel ! » Le tirage au sort l’installe au sein du groupe de travail « Se nourrir », thématique qui n’aurait pas été son choix naturel. « Cela m’a permis de partir d’une feuille blanche, sans a priori, et de construire un vrai projet grâce aux recherches et aux interventions de ceux qui savent, notamment à propos de l’agro-écologie. » La puissance de l’intelligence collective. Mais sa soif d’apprendre et de comprendre l’a conduit à s’interroger sur les façons de mettre au pas les multinationales polluantes, néfastes pour le climat, et à découvrir les luttes pour faire reconnaître les crimes d’écocide. « Nous avons rapidement pris conscience que toutes nos mesures sont liées, conclut-il, lucide. Nous craignons que cela devienne un inventaire à la Prévert dans lequel le gouvernement ne piochera que ce qui l’intéresse, mais il existe aussi des politiques intègres qui, j’espère, se saisiront de nos propositions. »

Écologie
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