Le CHU de Reims défend ses lits

L’équipe médicale, soutenue par des élus locaux, se mobilise contre le projet « Copermo » de réduction des coûts.

Nadia Sweeny  • 18 juin 2020
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Le CHU de Reims défend ses lits
Selon le plan interministériel, l’établissement devrait déménager dans des locaux plus petits et perdre 24 % de sa capacité d’accueil. Photo : PLATRIEZ/BSIP via AFP

Q uand on a vu les pelleteuses reprendre la construction à vitesse grand V, ça nous a fait un choc », se souvient le professeur Alexandre Denoyer, ophtalmologue au CHU de Reims. À peine le temps de souffler après la crise sanitaire que la construction du premier bâtiment – phase 1 – du projet Copermo (1) a repris. Ce projet doit aboutir, en 2027, au déménagement de l’ensemble des services dans deux bâtiments neufs, d’une surface totale beaucoup plus réduite que l’actuel CHU. Des lits doivent être supprimés. Leur nombre reste flou. Selon le maire (LR) de Reims, Arnaud Robinet, « on nous demandait une réduction de 184 lits. La phase 1 en détruit 100, la phase 2 devait d’abord en détruire 44, puis le Copermo nous en a demandé 40 de plus dans le but de réduire la capacité d’accueil de 24 %. » D’après Valérie Rozalski, infirmière et secrétaire générale CGT au CHU de Reims, « la direction a annoncé 210 lits : même nous, on a du mal à suivre ! Mais une fois que les bâtiments seront montés, on ne pourra plus pousser les murs. On sera coincés », prévient-elle.

« Tous les plans de réorganisation sont suspendus à la grande consultation qui suivra », avait pourtant assuré le ministre de la Santé le 5 avril, après la polémique qui a coûté sa place au directeur de l’agence régionale de santé du Grand Est. Ce dernier avait osé affirmer, au plus fort de la pandémie, que les fermetures de lits du CHU de Nancy n’étaient pas remises en question. Or, à Nancy comme ailleurs, il disait vrai.

À Reims, une soixantaine de professeurs d’université et de praticiens hospitaliers se sont réunis dans un collectif pour remettre les choses à plat. « Au début du projet, – déposé fin 2015, ndlr – _, il s’agissait de fermer des lits – et donc faire des économies sur le personnel – mais aussi de réduire de moitié l’espace de consultations et de retirer cinq salles de bloc,_ explique le professeur Denoyer. Mais depuis, en dehors de la crise, notre activité a augmenté de 24 % en chirurgie : nous sommes en tension. Et baisser la capacité d’un outil en tension, c’est absurde. » La crise sanitaire, pendant laquelle l’hôpital a réduit son activité de 80 % pour se concentrer sur le Covid, a généré la prise de conscience. « Dans le nouveau projet, on aurait dû fermer 100 % de notre activité non-Covid. La mortalité aurait été énorme », s’émeut le professeur, qui redoute l’arrivée d’une « deuxième vague » liée aux patients qui ne sont pas venus pendant la crise.

Dans les nouveaux bâtiments, cette reprise d’activité tendue serait catastrophique : « Le plateau des consultations doit recevoir 100 000 patients à l’année. Avec les restrictions sanitaires, dans un espace réduit, on ne serait pas en mesure de travailler. » Le nouveau collectif alerte la direction (2), qui accueille la démarche favorablement. Les médecins proposent même un projet alternatif. « La première phase est déjà bien avancée. Il est trop tard pour la modifier, alors nous proposons que seuls 30 % des services concernés par cette phase s’y installent et que le deuxième bâtiment, dont le projet n’est pas totalement abouti, soit repensé en plus grand, explique le professeur Denoyer. Notre objectif est de garder nos capacités actuelles. Nous ne sommes pas dans une logique de confrontation, mais de bonne intelligence. »

Les médecins préviennent tout de même : « Aucun service ne déménagera dans des locaux trop petits.» Leur projet est présenté au comité médical d’établissement jeudi 18 juin. En parallèle, ils ont sollicité les élus locaux, qui répondent présents. Un courrier a été envoyé le 10 juin au président de la République, notamment signé par François Baroin, maire de Troyes, ancien ministre du Budget et président de l’Association des maires de France. Les signataires demandent à être reçus pour plaider la cause du CHU de Reims, premier employeur du territoire champardennais, qui pourrait ouvrir la voie du remodelage des projets Copermo contestés sur tout le territoire français.

Depuis sa création, ce comité interministériel a lancé quarante projets d’investissement et vingt plans d’action de retour à l’équilibre financier. « Il faut un moratoire pour remettre à plat ces programmations, plaideArnaud Robinet. On doit sortir de l’esprit comptable. » Pourtant, le maire de Reims se félicitait de ce projet il y a encore quelques mois : «Cela fait dix ans que nous l’attendions ! Mais avec la crise, nous avons réalisé que l’hôpital n’était pas armé pour faire face. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ! » À bon entendeur.

(1) Créé en décembre 2012, le Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (Copermo) conditionne l’investissement dans l’hôpital à une restriction budgétaire drastique.

(2) Contactée, la direction a refusé de nous répondre.

Société Santé
Temps de lecture : 4 minutes
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