La vie des Palestiniens compte

Certes, les Palestiniens sont isolés, mais ce serait une grave erreur de croire pour autant que le conflit est soldé. Il ne peut pas l’être parce qu’il existe un peuple de plus de cinq millions d’âmes. La géopolitique ne peut pas tout expliquer. La résistance intérieure a sa propre dynamique.

Denis Sieffert  • 16 septembre 2020
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La vie des Palestiniens compte
© Ali Jadallah / ANADOLU AGENCY / Anadolu Agency via AFP

Est-ce la fin de l’histoire ? Le conflit israélo-palestinien est-il en train de s’achever non dans le fracas d’une intifada réprimée sous les bombes, mais par lente asphyxie, presque par obsolescence ? La question eût été indécente il y a quelques mois encore ; elle ne l’est plus aujourd’hui. La cérémonie de signature de l’accord de reconnaissance d’Israël par les Émirats arabes unis et le royaume de Bahrein, mardi, sous le « haut » patronage de Donald Trump (et sous les bravos de la France), est en tout cas un pas de plus dans l’abandon de la question palestinienne. L’émirat d’Oman devrait suivre. Et l’Arabie saoudite franchira le pas un jour ou l’autre. Pour l’instant, Riyad se contente d’orchestrer dans une demi-obscurité le ralliement de ses vassaux. Officiellement, le plus puissant, et le plus peuplé des pays du Golfe, continue de poser à la normalisation avec Israël la condition historique du monde arabe : la création d’un État palestinien, avec Jérusalem-Est pour capitale. C’est-à-dire la réaffirmation du plan de paix global offert par le roi Abdallah, en 2002, et rejeté à l’époque par Ariel Sharon. Entre ce plan et le processus en cours, il y a évidemment plus qu’un renversement de logique. La normalisation est là, mais les conditions ont quasiment disparu. Comment prendre au sérieux en effet cette « suspension » de l’annexion de la Cisjordanie qu’Israël fait mine de concéder ? L’accord fournit même à Netanyahou un alibi pour ne pas appliquer une promesse de campagne qu’il ne parvenait pas à mettre en œuvre. Et rien ne l’empêche de continuer de coloniser.

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Mais alors, pourquoi cette soudaine accélération du processus de normalisation ? À court terme, le principal facteur explicatif nous ramène à la campagne électorale américaine. Donald Trump a bien besoin de ces succès dans le monde arabe. Et il conforte un électorat chrétien évangéliste qui entretient avec les colons israéliens un rapport plus que passionnel, mystique. C’est aussi l’empreinte de dirigeants arabes, dont l’Émirati Khalifa Ben Zayed est représentatif, plus intéressés par le business que par les luttes anticoloniales. À plus long terme, c’est la perspective d’une coalition anti-Iran qui se dessine en vertu de la vieille formule « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Pour autant, peut-on dire que la question palestinienne est enterrée ? Non, bien sûr. L’accord dit « de paix » signé mardi n’a pas la portée qu’on lui prête dans beaucoup de médias. Les signataires font la paix, mais ils n’ont jamais fait la guerre. Aucune comparaison possible avec l’accord de Camp David, en 1979, entre l’Égypte et Israël, qui réunissait deux puissances régionales trois fois en guerre, en 1948, 1967 et 1973. Presque quatre, si l’on compte le fiasco israélo-franco-britannique contre Nasser en 1956.

Il faut ajouter qu’Abu Dhabi a, depuis de nombreuses années déjà, de discrètes relations commerciales et sécuritaires avec Israël. La violente répression à laquelle se livre le régime contre les Frères musulmans et les démocrates n’est pas pour déplaire à Netanyahou. On doit aussi se souvenir que si cet abandon de la question palestinienne par les pays du Golfe prend aujourd’hui un caractère spectaculaire, jamais, en vérité, leur soutien n’a dépassé le stade du discours. Hormis en 1973, lorsqu’au lendemain de la guerre du Kippour l’Arabie saoudite a joué de l’arme du pétrole. Il y a donc bien longtemps que les Palestiniens ont compris qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes. Et s’ils ont nourri des illusions, c’est à l’égard des États-Unis et de l’Europe. La prise du pouvoir d’Arafat à la tête du mouvement palestinien, après la guerre de 1967, avait d’ailleurs traduit cette volonté d’autonomie.

Certes, les Palestiniens sont isolés, mais ce serait une grave erreur de croire pour autant que le conflit est soldé. Il ne peut pas l’être parce qu’il existe un peuple de plus de cinq millions d’âmes. La géopolitique ne peut pas tout expliquer. La résistance intérieure a sa propre dynamique. Cela suppose évidemment que le mouvement palestinien sorte de son marasme actuel, paralysé par une Autorité vieillie et discréditée par sa fameuse « coopération sécuritaire » avec Israël. Paralysé surtout par la fracture entre Fatah et Hamas. Au fil des années, la lutte contre le mouvement islamiste est devenue prioritaire dans l’esprit des dirigeants de Ramallah. Il ne faut donc pas s’étonner de la présente situation. Sans doute, la perspective d’un État palestinien dans les frontières de 1967 n’est plus d’actualité. Mais cela non plus, ce n’est pas nouveau. Dans un proche avenir, le conflit pourrait se reconfigurer autour de la revendication de l’égalité des droits de tous les citoyens, de la Méditerranée au Jourdain. Il sera peut-être plus difficile à la communauté internationale – à l’Europe et à la France, par exemple – de rester indifférente à une situation d’apartheid manifeste. À l’époque de Black Lives Matter, ce serait un comble ! La vie des Palestiniens compte. Encore faut-il que le racisme des dirigeants israéliens soit identifié comme tel par des capitales occidentales peu pressées de sortir d’une confortable hypocrisie.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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