Cédric Herrou : Un « paysan punk » contre l’État

L’homme qui incarne le mieux les valeurs d’accueil inconditionnel livre son propre récit, entre humanisme chevillé au corps, doutes et contradictions.

Vanina Delmas  • 21 octobre 2020 abonné·es
Cédric Herrou : Un « paysan punk » contre l’État
© VALERY HACHE / AFP

S i j’avais laissé ces enfants au bord de la route, ma mère m’aurait engueulé. J’ai préféré affronter la violence des procureurs. » Deux phrases percutantes et suffisantes pour cerner l’esprit de rébellion, l’élan naturel pour la solidarité, l’audace désinvolte et la verve gouailleuse de Cédric Herrou. Depuis quatre ans, ce paysan quadragénaire, vivant dans la vallée de la Roya, a fait couler beaucoup d’encre et délié beaucoup de langues, acides ou amicales. Mais, surtout, il a aidé et sauvé nombre d’hommes, de femmes, d’enfants, de familles, de jeunes filles exilés et en errance à la frontière franco-italienne.

Depuis que Cédric Herrou a ouvert la grille de sa ferme aux médias à l’automne 2016, jusqu’au New York Times, ses lunettes rondes, son bonnet de laine et ses chaussures de montagne ont régulièrement squatté les colonnes des canards français et les plateaux de télévision. Au rythme de ses mésaventures policières : arrestations, onze gardes à vue, perquisitions, procès, harcèlement quotidien, balises GPS découvertes sur la voiture de ses parents… Mais qui est-il vraiment ? Avec Change ton monde, Cédric Herrou livre enfin son propre récit, sous forme d’une rétrospective qui touche et révolte à la fois.

Change ton monde Cédric Herrou, préface de J. M. G. Le Clézio, Les Liens qui libèrent, 272 pages, 19 euros.

C’est un récit plein de contradictions, à l’image de la personnalité de son auteur et des sentiments qui se sont bousculés. Cédric Herrou avait envie de vivre « loin de ce monde qui [l’]insupporte », mais celui-ci l’a rattrapé. Il critique avec acidité – et pertinence – les médias mais a dû jouer leur jeu pour la bonne cause. Les pouvoirs publics l’ont persécuté, notamment ceux des Alpes-Maritimes, mais il a été élu Azuréen de l’année 2016 par les lecteurs de Nice-Matin. Il est devenu le symbole de l’accueil inconditionnel, de la chaleur humaine, alors qu’on lui reproche d’être « froid et distant » avec celles et ceux qui se réfugient chez lui.

Loin du personnage médiatique, on découvre les failles et les doutes : ses hésitations en voyant ces groupes de « personnes à la peau d’ébène » sur les rochers de Menton, puis ses larmes « sèches et fossilisées » qui le brûlaient à chaque passage de frontière. Et ce lien difficilement descriptible avec cet enfant semblable à un « petit Bouddha » qui le suit partout sans dire un mot…

Composé de 55 chapitres thématiques, courts et incisifs, ce livre est fidèle à Cédric Herrou : sans filtre, provocant, et avec le bagout d’un homme sûr de ses convictions. D’ailleurs, voir son texte originel un brin retouché a été une petite épreuve pour lui. Il assume de dire qu’Éric Ciotti est de « droite extrême », de qualifier les institutions et les politiques de « démagos aux mains lisses et propres », de dénoncer le racisme d’État qui dicte les décisions politiques aux frontières. Et même de raconter le culot de ces « touristes humanitaires » débarquant chez lui l’été, sans prévenir, « les mains vides », parce qu’ils « désirent rencontrer “un migrant” ».

Cédric Herrou est un paysan punk et pragmatique qui a défié l’État sur le plan politique et judiciaire. Aujourd’hui, il a fondé la première communauté Emmaüs agricole pour allier son amour de la terre et son envie d’aider les compagnons et compagnonnes dans le besoin.

En refermant le livre, on prend conscience que c’est également un précieux document d’archives sur le délit de solidarité, sur cet État hors la loi qui autorise ses forces de l’ordre à faire la chasse aux exilés. Qui pourrait réellement croire qu’en France on poursuit en justice des papys et des mamies, des paysans, des universitaires, de jeunes bénévoles, seulement pour être venus en aide à des humains en détresse ? « Comment leur expliquer que mon aide n’a rien de révolutionnaire ? Je ne prétends pas chambouler l’ordre établi, juste dénoncer les failles de l’État. Où est la démocratie quand le pouvoir considère ses détracteurs comme une bande d’abrutis illégitimes ? » interroge Cédric Herrou.

Ce livre n’est pas un manifeste de No Border. Ni un tract de gauchiste opportuniste. C’est un plaidoyer sincère sur la nécessité de faire des choix, quitte à se mettre dans l’illégalité, pour rester dans le juste. Intuitif et direct, comme son auteur.

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