Printemps républicain : un groupuscule d’influence

Encensé dans la presse de droite, le Printemps républicain, né du PS tendance Valls, ne recule devant aucune campagne nauséabonde pour imposer sa vision intolérante de la laïcité.

Michel Soudais  et  Jules Peyron  • 28 octobre 2020 abonné·es
Printemps républicain : un groupuscule d’influence
Gilles Clavreul lors de sa nomination, en 2015, au poste de délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme.
© PATRICK KOVARIK / AFP

Il y a presque un an, les dirigeants du Printemps républicain annonçaient leur intention de se lancer en politique et de peser sur la présidentielle. Avec une intention : substituer au clivage gauche-droite, qui « ne fait plus sens », « celui qui sépare les républicains et les identitaires de tous bords ». La création de cette formation censée « s’adresser aux orphelins d’une gauche républicaine et laïque » était programmée au lendemain des municipales. Ce projet, annoncé lors d’une journée à La Bellevilloise en présence de… Valérie Pécresse, n’a pu pour l’heure se concrétiser. Ce qui n’empêche pas les idées du Printemps républicain d’infuser dans l’opinion, à travers les relais dont dispose l’association dans les médias, et jusqu’au sommet de l’État, où elle compte des partisans bien placés.

L’association apparaît en mars 2016 dans la sphère socialiste autour d’un manifeste lancé par le politiste Laurent Bouvet et Gilles Clavreul, alors délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme. Publié dans Marianne et _Causeur, ce texte recueille quelques centaines de signatures d’élus, d’intellectuels, de journalistes et citoyens. « C’était un appel de potes très désireux de faire vivre le combat laïc », raconte un élu qui a rapidement pris ses distances quand s’est constituée une organisation et qu’il est apparu qu’elle dissociait le combat laïc du combat social. D’autres s’en sont éloignés en raison de la violence de son discours contre les ennemis désignés de la laïcité. Les animateurs du Printemps républicain ont en effet pour point commun d’être ou d’avoir été des soutiens de l’ancien Premier ministre Manuel Valls. Pour autant, ce n’est pas tant au sein du PS qu’ils affirment leur existence qu’à travers des campagnes d’opinion. Dans les médias, où l’association compte de nombreux relais, et sur les réseaux sociaux.

En octobre 2017, sous sa pression, l’université de Lyon-II annule un colloque sur l’islamophobie qui réunissait universitaires et associatifs. Quelques semaines plus tard, la militante antiraciste Rokhaya Diallo est évincée du Conseil national du numérique, ce qui provoque la démission du conseil en entier au terme d’une violente campagne sur les réseaux sociaux. En février 2018, plusieurs de ses membres prennent aussi part à une cabale de la fachosphère contre Mennel, une jeune chanteuse sélectionnée dans « The Voice », qui porte le turban et chante en arabe.

Plutôt groupusculaire, le Printemps républicain a ainsi développé une capacité de nuisance dans les débats publics au moyen des réseaux sociaux, où son noyau dirigeant est hyperactif. Si l’on excepte les comptes anonymes de sa mouvance, qui ne sont pas les moins virulents, sept comptes clairement estampillés interagissent entre eux : Amine El-Khatmi (33,8k abonnés), son président, Laurent Bouvet (24,9k), Gilles Clavreul (21,6k), Benjamin Sire (3,6k), Vincent Lautard (5,5k), Nassim Seddiki (6,6k), et JOD (pour l’architecte Jérôme-Olivier Delb, 10,6k).

Leur comportement sur Twitter les apparente à la fachosphère sur plusieurs sujets : même s’ils s’en défendent, ils sont contre le port du voile, relaient énormément de faits divers surtout quand il s’agit d’agressions envers la police – qui pas plus que l’État ne peut être accusée de racisme –, valident le terme d’ensauvagement, s’opposent à l’écriture inclusive, à la non-mixité et à toute forme d’intersectionnalité… Pour attaquer leurs « adversaires » idéologiques, ils chassent en meute, font preuve au mieux de moquerie et d’ironie, usent souvent de la provocation, et recourent à l’occasion à des fake news.

Les affinités électives de cette petite nébuleuse y sont transparentes. Marika Bret et Zineb El Rhazoui de Charlie Hebdo, le philosophe médiatique d’Europe 1 Raphaël Enthoven, l’ancien Premier ministre Manuel Valls – républicain intransigeant en France et défenseur de la monarchie catholique en Espagne –, la ministre Marlène Schiappa, l’essayiste Caroline Fourest et le croqueur de pingouins Xavier Gorce font l’unanimité des retweets et des likes. Viennent ensuite Jean-Michel Blanquer, Zohra Bitan, Pierre Liscia, Bernard Cazeneuve, Keren Ann, Isabelle Saporta, Xavier Bertrand…

« Ne pas être d’accord avec eux, c’est s’exposer à des menaces », confiait en 2018 le socialiste Rachid Temal à Regards_. Le député ex-LREM Aurélien Taché en a fait les frais cet été. Le PS a annulé à la dernière minute l’intervention qu’il devait faire à son « Rendez-vous de la gauche d’après » cédant, selon l’évincé, « à la pression d’individus menaçant de perturber l’événement ».

Si les cibles du Printemps républicain varient en fonction de l’actualité, le petit groupe a ses têtes de Turcs récurrentes : Jean-Luc Mélenchon, Edwy Plenel, Assa Traoré, Rokhaya Diallo, Samuel Grzybowski, fondateur du mouvement Coexister, mais aussi Nicolas Cadène, rapporteur général de l’Observatoire de la laïcité. Cet organisme public, qui assiste le gouvernement dans son action, est depuis des années dans son viseur. « Pas une semaine ne passe sans que je sois la cible sur les réseaux sociaux de trolling, sur des points manipulés et mensongers, du Printemps républicain et de la fachosphère », se plaignait le 30 juillet Nicolas Cadène sur Twitter, à la suite d’un screenshot tronqué de Gilles Clavreul.

Mis en place en 2013 par François Hollande et présidé depuis par l’ancien ministre Jean-Louis Bianco, l’Observatoire de la laïcité a produit de nombreux guides pratiques, il forme de très nombreux agents publics et parapublics à la laïcité et s’emploie à travers le ministère des Affaires étrangères à expliquer le droit de la laïcité française auprès de nombreux gouvernements étrangers. Les attaques contre lui ont pris un nouveau tour au lendemain de l’effroyable exécution de Samuel Paty. Le 18 octobre, un article du _Point, citant « un proche de Marlène Schiappa », prétendait que le remplacement de Nicolas Cadène était « acté », ce dernier étant accusé d’être « plus préoccupé par la lutte contre la stigmatisation des musulmans que par la défense de la laïcité ». La source souhaitait que la « laïcité d’apaisement » cède la place à « de vrais laïcs ». Ce remplacement, démenti par le gouvernement après que l’Observatoire a reçu le soutien de plusieurs associations laïques – Solidarité laïque, la Ligue de l’enseignement et la Ligue des droits de l’homme, notamment –, d’une vingtaine de chercheurs et universitaires travaillant sur la laïcité, et de députés LREM, était à nouveau réclamé dans une tribune publiée par Le JDD (25 octobre). Signé par Élisabeth Badinter, Caroline Fourest, l’avocat de _Charlie Hebdo Richard Malka et 46 personnalités membres ou proches du Printemps républicain, ce texte tout en insinuations fielleuses demande au gouvernement de mettre en œuvre « de nouveaux outils, de nouvelles instances, adaptés à [un] paysage laïque transformé ».

S’il a pour l’heure échoué à s’emparer de l’Observatoire de la laïcité, le Printemps républicain est néanmoins parvenu à placer plusieurs de ses membres et quelques proches dans l’appareil d’État.

Laurent Bouvet siège au « Conseil des sages de la laïcité », structure créée en janvier 2018 par Jean-Michel Blanquer pour _« préciser la position de l’institution scolaire en matière de laïcité et de faits religieux », en compagnie de Patrick Kessel, le président du Comité laïcité république, Catherine Kintzler, professeur honoraire de philosophie à l’université de Lille, ou Iannis Roder, professeur d’histoire-géographie et coauteur des Territoires perdus de la République. Autre fondatrice du Printemps républicain, l’ex-maire PS du XXe arrondissement de Paris passée à LREM et sèchement battue aux municipales, Frédérique Calandra, a été bombardée fin juillet déléguée interministérielle à l’aide aux victimes. Un autre perdant de ce scrutin, Thomas Urdy, ex-adjoint au maire de Trappes, proche du Printemps républicain, comme en atteste son compte twitter, a été repêché mi-août au cabinet de Marlène Schiappa comme conseiller relations avec les élus et collectivités et à ce titre, précise-t-il, référent laïcité au ministère de l’Intérieur. De quoi renforcer les positions de Frédéric Potier. Ce successeur de Gilles Clavreul à la tête de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), nommé le 4 mai 2017, était auparavant membre du cabinet de Manuel Valls à Matignon. Un petit monde.

Politique
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