La proposition de loi « sécurité globale », prélude à l’État policier ?

Pour l’avocat Vincent Brengarth, les députés s’apprêtent, sous la pression de l’exécutif, à voter un texte dont _« les principales mesures induisent un revirement de notre modèle de société vers celui que l’on pourrait sans exagération qualifier d’État policier »_.

Vincent Brengarth  • 16 novembre 2020
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La proposition de loi « sécurité globale », prélude à l’État policier ?
© Photo : Alain JOCARD / AFP

L’appétence sécuritaire du législateur connaît un développement nouveau avec le texte de proposition de loi relative à la sécurité globale, déposé le 20 octobre 2020. Cette proposition de loi, particulièrement décriée par les défenseurs des libertés publiques, sera examinée par l’Assemblée nationale en séance publique à partir du 17 novembre 2020.

Si son article 24, qui prévoit la création d’un délit de diffusion des visages des forces de l’ordre, cristallise les débats, cela ne doit pas faire oublier l’aspect non moins menaçant des autres dispositions de la proposition de loi. Celles-ci marquent un effet une nouvelle étape dans la dérive actuelle de l’État en ce qui concerne les problématiques sécuritaires.

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Le principal danger de ce texte tient dans le fait qu’il s’analyse comme un conglomérat de mesures attentatoires à nos droits et libertés dont nos dirigeants voudraient, par effet de masse, diluer la portée. Profitant du contexte d’une opinion publique focalisée sur la menace sanitaire mondiale, le législateur, qui nous le rappelons est soumis au pouvoir exécutif, tente de faire passer en force une loi qui contribuera à éloigner davantage notre pays des grands principes de l’État de droit.

Des lois toujours plus répressives

Conformément à l’exposé de ses motifs, cette proposition de loi reprend les conclusions du rapport de la mission parlementaire remis au Premier ministre, en septembre 2018, par les députés Alice Thourot et Jean‑Michel Fauvergue, notamment connu pour avoir dirigé le RAID. La mission avait privilégié le concept de « sécurité globale » à celui de continuum, correspondant d’après elle mieux « _à l’idée d’une participation de tous à la construction et à la mise en œuvre d’un dispositif où chacun est mobilisé en vue de l’objectif commun ». Cependant, c’est bien le principe de continuum qui est dominant dans la réalité des faits. Il s’illustre par des lois toujours plus répressives, adoptées par des biais qui font souvent abstraction des plus élémentaires règles de la démocratie. Malgré la préoccupation sanitaire, il est surprenant de constater le manque de réaction citoyenne.

Sur le plan pratique, l’on ne peut que souligner les conditions particulièrement inquiétantes dans le cadre desquelles intervient cette proposition de loi.

Comme le relève un communiqué en date du 13 novembre 2020 de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme : _« En n’assumant pas directement le choix de ces nouvelles orientations sécuritaires, qu’il aurait dû détailler dans un nouveau projet de loi, le gouvernement prive le parlement et la société d’un débat sur leur impact ainsi que d’une expertise juridique du Conseil d’État, préalables requis à l’examen parlementaire de tout projet de loi, mais pas pour une proposition de loi. Par ailleurs, ni la CNCDH ni les autres instances chargées du respect des droits fondamentaux dans leur domaine respectif – le Défenseur des droits, la CNIL – n’ont été consultées alors même que ce texte redessine de manière très préoccupante les contours d’une « nouvelle donne » sécuritaire. »

Il est ainsi fort regrettable de constater qu’une fois de plus, une proposition de loi, portée par la majorité sous l’inspiration directe du pouvoir exécutif, fait totalement fi des autorités administratives indépendantes, dont le rôle est essentiel pour la sauvegarde de ce qui reste de notre démocratie. Par le biais de telles pratiques, l’État se décrédibilise.

Comme énoncé supra, ce texte est « étudié » en pleine crise sanitaire, ce qui écarte d’emblée la possibilité d’un réel débat de fond. Par la portée incommensurable de ses conséquences, un tel projet mériterait pourtant une étude approfondie sans procédure accélérée, sous l’avis éclairé des autorités administratives compétentes hélas réduites au silence. Notons également que cette proposition de loi va être examinée dans un contexte d’urgence affiché par le pouvoir, mais sans rapport avec son contenu. Dans une motion du Conseil national des barreaux en date du 13 novembre 2020, il est logiquement déploré _« qu’une proposition de loi d’une telle importance pour les droits fondamentaux soit examinée en plein état d’urgence sanitaire et selon la procédure accélérée ».

Le premier écueil du texte provient par conséquent des conditions dans lesquelles il est soumis au « débat » parlementaire d’un législateur acquis à la cause du pouvoir exécutif, alors qu’il devrait veiller à conserver un minimum de limites vis à vis de tendances qualifiables d’autoritaristes.

Un maillage sécuritaire

De plus, le texte prétend apporter une vision globale sur les problématiques sécuritaires. Or, « qui trop embrasse mal étreint » et comment se prémunir face aux excès de pouvoir inhérents à la mise en œuvre d’un tel concept ? Ce projet entend notamment élargir le périmètre d’intervention des polices municipales, dont les attributions en matière de contrôles seront renforcées, ou encore mieux encadrer le secteur de la protection privée avec l’idée de davantage l’inscrire dans un schéma global, mais dans quelles limites ? L’absence de réponse à ces questions réduit indéniablement et progressivement la distance qui nous sépare de l’État policier.

Il est également prévu un élargissement des finalités de recours aux drones. Ces robots aériens pourraient ainsi surveiller la sphère publique, selon le bon vouloir de nos dirigeants et au mépris de nos droits. La fiction décrite par Georges Orwell dans l’un de ses plus fameux romans deviendrait alors une réalité.

C’est un donc un maillage sécuritaire qui est progressivement en train de se tisser sous nos yeux attentistes, avec les conséquences regrettables qui ne manqueront pas d’apparaître dans une société française déjà très fragilisée sur le plan social, et dont la paupérisation ne cesse de s’accroître en raison de la crise sanitaire.

À l’initiative du gouvernement, la Commission des lois a notamment adopté un article 30A portant réglementation du commerce des mortiers d’artifice, et permettant notamment au vendeur de refuser la vente… s’il suspecte une intention malveillante chez l’acquéreur, transformant ainsi le commerçant en un révélateur d’intention suspecte.

L’une des mesures les plus emblématiques de cette loi serait donc d’interdire la diffusion des images de force de l’ordre. L’article 24 de la proposition de loi prévoit en effet de réprimer « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». Or, la Défenseure des droits, dans son avis du 3 novembre 2020, souligne _« l’importance du caractère public de l’action des forces de sécurité qui permet son contrôle démocratique, notamment par la presse et les autorités en charge de veiller au respect de la loi et de la déontologie », et ce malgré les termes techniques du projet de loi « …dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique…etc ». Néanmoins, comme déjà évoqué supra, les recommandations du Défenseur des droits, autorité administrative indépendante, sont trop souvent tout bonnement ignorées par le pouvoir en place, ce qui est très inquiétant de la part d’un pays qui se revendique en tant que démocratie historique et exemplaire.

Une nouvelle fois, le législateur cède à la précipitation sous la pression du pouvoir exécutif. Cet état de fait aura des répercussions sur le long terme en raison de la gravité du contenu de cette proposition de loi. En effet, ses principales mesures induisent un revirement de notre modèle de société vers celui que l’on pourrait sans exagération qualifier d’État policier. Il est ainsi question de la place des images de l’action des forces de l’ordre dans un pays qui, peinant déjà à reconnaître et à réprimer les violences policières, pourrait être tenté de chercher à les légitimer. Il est également question, comme nous l’avons vu, de l’augmentation des pouvoirs de polices municipales dont les personnels sont souvent peu qualifiés, de l’exposition au risque d’une surveillance de masse, dont celle de la vie privée, etc…

Ce projet de loi fait cependant abstraction du fait que les personnels de la force publique sont souvent issus des mêmes catégories sociales que celles des citoyens qu’ils seront chargés de réprimer. La réduction des périodes de formation, notamment induite par l’augmentation subite des effectifs policiers, entraînera indéniablement une sous-qualification des personnels avec nécessairement ses effets néfastes sur le terrain. Les récents événements survenus au sein de l’école de police de Nîmes ont ainsi poussé des responsables publics à soulever de « vrais problèmes de recrutement ».

Alors que le pouvoir en place devrait se concentrer sur des scénarii de sortie de crise bienveillants pour la société, il se focalise indéniablement sur la palette des outils répressifs utilisables face aux mouvements sociaux, provoqués par l’accroissement de la paupérisation et des inégalités sociales, qui ne manqueront pas d’apparaître dans un proche avenir.

Publié dans
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