Les petits commerces au front contre Amazon

Exsangues après plusieurs semaines de fermeture contrainte, les petits commerces dénoncent l’expansion des géants de la vente en ligne et la passivité du gouvernement.

Roni Gocer  • 18 novembre 2020 abonné·es
Les petits commerces au front contre Amazon
Une libraire parisienne semi-confinée, le 30 octobre 2020.
© Virginie Haffner / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Médiatiquement, les petits commerces n’en finissent pas de mourir. Dès les années 1980 commence dans la presse la chronique du déclin, à mesure que s’étendent les grandes surfaces. On évoque alors l’« agonie » de ces petites boutiques, lente et inéluctable. Avec la crise du Covid-19 et les deux confinements, la disparition des commerces de proximité paraît subitement bien plus imminente : l’obligation de fermer les boutiques de produits non essentiels pourrait mener à un nombre record de faillites dans le commerce de proximité.

En parallèle, les bénéfices qu’engrangent Amazon ou Cdiscount exaspèrent les petits commerçants, qui dénoncent la complaisance de l’État à l’égard des grands de la vente en ligne. Plusieurs affirment être prêt·es à rouvrir avant le 1er décembre. Apparaît alors un nouveau registre dans les titres de presse : celui de la guerre de survie. Après le récit du déclin, celui de la lutte des petits commerces démarre.

« Il ne faut pas qu’Amazon devienne le grand gagnant de cette crise », lançait dans cette veine un Bruno Le Maire résolu sur le plateau de BFM TV, le 1er novembre. Avec voix grave et solennité, le ministre de -l’Économie annonçait qu’une aide de 500 euros serait proposée aux petits commerces pour leur permettre d’effectuer leur transition vers la vente en ligne. « 500 euros pour se mettre au numérique, c’est une blague ! » rétorque Céline Kern-Borni, présidente des Vitrines de Colmar (Haut-Rhin). Dès la fin du premier confinement, son association met en chantier une plateforme d’e-commerce en groupant les commerçants locaux. Au total, le budget s’élève à près de 250 000 euros, réunis avec l’aide de la Ville et du conseil régional. « Il ne faut pas croire qu’en un claquement de doigts on peut préparer ses stocks, mettre en ligne ses produits et s’occuper du référencement pour ne pas être invisible face à Amazon ou C-discount, explique Céline Kern-Borni. Avec les 500 euros, on ne couvre même pas le prix du site. »

Ulcéré par l’annonce du maintien de la fermeture des petits commerces jusqu’au 1er décembre, le président de la Confédération des commerçants de France, Francis Palombi, dénonce une concurrence déloyale. « Nous empêcher d’ouvrir pour le week-end du Black Friday [à partir du 27 novembre]_, c’est créer une rupture d’égalité. Nous sommes prêts à déposer des recours. »_ Depuis la reprise de l’épidémie, il critique la cacophonie au sein du gouvernement entre d’un côté Bruno Lemaire et Alain Griset, ministre des PME, et de l’autre le Premier ministre, Jean Castex. Les uns sont favorables aux petits commerces, l’autre est un allié de facto des géants de l’e-commerce, estime-t-il. Dans l’immédiat, aucune réponse rassurante pour les commerçants. « Ce n’est pas dans notre culture, mais nous sommes prêts à nous mobiliser pour notre survie, notamment dans la rue », assure Francis Palombi.

En Alsace, la mobilisation a permis aux commerces de proximité de remporter une petite victoire. Initialement, Amazon aurait envisagé d’y construire deux entrepôts, à Dambach-la-Ville et à Ensisheim, occupant respectivement des surfaces de 18 et 16 hectares. Lorsque le projet s’ébruite dans la presse en février, plusieurs voix s’élèvent contre les conséquences environnementales néfastes qu’induirait l’implantation du colosse états-unien. Une mobilisation s’organise, contre la prolifération des camions de livraison – 4 500 par jour, estiment les Amis de la Terre – et la perte des terres agricoles. « D’emblée, des commerçants nous ont rejoints », raconte Pascal Lacombe, porte-parole du Chaudron des alternatives, association créée autour de la mobilisation. « On a senti très vite qu’on ne combattait pas à armes égales avec Amazon, qui a pu imposer la confidentialité aux élus locaux. À Ensisheim, on n’a découvert le projet que tardivement, lorsqu’une enquête publique a été effectuée. Ça donne le sentiment d’un déni de démocratie. »

Finalement, après une pression maintenue des militant·es, Amazon sonne la retraite. Le 5 novembre, le directeur général d’Amazon France, Frédéric Duval, annonce qu’il n’y a aucun projet d’implantation en Alsace, malgré une « campagne exploratoire (sic) dans la région ». En regardant la vidéo, Pascal Lacombe ne boude pas son plaisir : « C’est assez jouissif de se dire que, indirectement, on a réussi à dissuader l’homme le plus riche du monde. »

Travail Société
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