Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! Notre-Dame- des-Landes : L’invention de la Commune du bocage

« C’est un chantier en cours, ni un exemple ni un idéal »

Patrick Piro  • 16 décembre 2020 abonné·es
Gouverner sans chef, ils l’ont fait ! Notre-Dame- des-Landes : L’invention de la Commune du bocage
© Estelle Ruiz / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

« C’est un chantier en cours, ni un exemple ni un idéal », note modestement Claire (1), vivant sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes depuis une décennie. Gouvernance horizontale, décisions par consensus, interpellation des rapports de domination, etc., « ces pratiques ne sont pas spécialement expérimentales en matière d’éducation populaire ». Si cette modestie est partagée parmi les « historiques », à l’extérieur, en revanche, le mode de vie de la ZAD fait briller des yeux. Désormais pacifiée, elle a connu de nombreuses installations l’an dernier, rapporte Hector, qui a vécu lui aussi les grandes heures de la ZAD.

Au début des années 2010, la vie est relativement cloisonnée en petits pôles dispersés sur les quelque 2 000 hectares de ce bocage nantais. Les premières formes collectives sont des « réunions d’habitant·es », pour entraver les travaux d’approche de l’aéroport et établir quelques structures communes – zone non marchande, espace bureau, fonds de matériels… Automne 2012, date pivot. L’opération César échoue à chasser les anti-aéroport. « La résistance a donné envie aux différentes composantes en lutte de “faire ensemble” », indique Pierre. « Squatteurs » (comme on disait alors), groupes paysans, associations, naturalistes et soutiens venus des bourgs voisins se retrouvent pour discuter des orientations relatives à la ZAD.  « À côté de la mobilisation contre l’aéroport, enjeu central commun, on commençait à parler de la manière de prendre en charge le territoire, témoigne Pierre. Faire coutume et tendre vers l’autarcie, hors de la gouvernance de l’État mais ouverts sur l’extérieur. »

Zapatisme, Commune de Paris, communautés libres d’esclaves marrons, les références à l’anticapitalisme et à la démocratie directe s’enrichissent – écologie, rejet des circuits marchands, de l’autoritarisme, du centralisme, etc. La ZAD produit des aliments, décide des cultures, entretient les bosquets et les sentiers, et prend en charge un ensemble de communs tels que la santé, l’accueil des nouvelles personnes… Jusqu’à la résolution des conflits par la médiation et des pratiques de justice réparatrice.

En 2017, fruit de mois d’échanges, le mouvement produit un texte en six points, fixant de grands principes pour un « après-aéroport » alors encore fantasmé : refus de toute expulsion, poursuite de la cohabitation des modes d’occupation présents (habitat, pratiques agricoles…), gestion collective des terres, etc. « C’est une différence avec l’expérience du Larzac, pilotée par le collectif des habitant·es, commente Pierre. Ici, le territoire est pris en charge par une “assemblée des usages” ouverte à toute personne qui y est régulièrement engagée, habitante ou non. » Alors que des négociations sont toujours en cours avec les autorités sur diverses régularisations, des groupes de travail s’occupent des questions d’habitat, de foncier ou de gestion de la forêt locale dans des allers-retours permanents avec le collectif. Avec le temps, la frange la plus absolutiste des zadistes s’est étiolée « et une certaine sagesse partagée s’est installée, commente Hector. Le consensus n’est pas l’harmonie, mais les désaccords sont mieux acceptés, comme une modalité du vivre-ensemble ». Ainsi, le débat sur la chasse a vu les plus « anti » se ranger à la position médiane de l’assemblée des usages. « Nous avons appris à mieux nous connaître, résume Claire. Et ce n’est pas que le fruit des réunions. Il y a les fêtes, les chantiers collectifs, les travaux en commun – le partage, la rencontre, l’affectif ! »

(1) Certains prénoms ont été modifiés.

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Gouverner sans chef, c'est possible
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