« En thérapie » : Sur le divan du monde

Arte lance En thérapie, une série dirigée par Olivier Nakache et Éric Toledano. Où l’on suit des séances d’analyse dans un cabinet de psy au lendemain des attentats de novembre 2015. Une réussite.

Christophe Kantcheff  • 27 janvier 2021 abonné·es
« En thérapie » : Sur le divan du monde
© Carole Bethuel

Voilà une série bien singulière : pas d’action grandiose ni de suspense à en perdre le souffle, pas plus d’enquête policière ni de dystopie. Deux ou trois personnages en tête à tête pendant près de 25 minutes, presque toujours dans le même décor, un dialogue qui est en lui-même le moteur du récit, et des plans séquences comme on en voit dans le cinéma d’auteur mais rarement à la télévision. Pourtant, malgré cette forme a priori austère, ou plus exactement grâce à elle, ce qui se déroule sous nos yeux est passionnant.

Nous sommes dans le cabinet d’un psychanalyste, Philippe Dayan, et la série se nomme En thérapie. Cela ne manquera pas de rappeler quelque chose à certains téléspectateurs. Sa version états-unienne, En analyse (In Treatment), a en effet été diffusée en France à partir de la fin des années 2000. Mais l’idée originelle ne vient pas de là. C’est en Israël que cette série a été conçue, sous le titre BeTipul. On saisit d’emblée le caractère possiblement fécond d’une telle entreprise. Mettre en scène des séances d’analyse dans un pays qui en occupe un autre et où le degré de militarisation est élevé avait de quoi en dire beaucoup sur l’état psychique des individus, mais aussi sur le plan collectif (dans un ses textes, Elias Sanbar avançait l’idée suivante : leur pays occupant la Palestine, les Israéliens ont, quant à eux, l’esprit, et donc leur inconscient, occupé par les Palestiniens).

En France, les initiateurs de la série sont les cinéastes Olivier Nakache et Éric Toledano, avec les productrices Yaël Fogiel et Laetitia Gonzalez. On sera peut-être surpris de ce que ces habitués des comédies grand public (Intouchables, Le Sens de la fête, avec le regretté Jean-Pierre Bacri…) aient ressenti l’envie de se confronter à un dispositif de mise en scène aussi contraignant. Outre le défi que cela représentait, leurs motivations sont liées au temps présent : « On vit dans une époque qui valorise principalement l’instant, perpétuellement renouvelé, sans place pour s’arrêter, analyser. Nous éprouvons le besoin de détendre le temps. De ce point de vue, le minimalisme d’En -thérapie est à contre–courant. La série transmet sûrement cette idée, il faut savoir s’écouter et verbaliser », déclarent-ils.

S’ils ont supervisé tous les stades de l’élaboration de la série, en particulier l’équipe de scénaristes menée par David Elkaïm et Vincent Poymiro, et ont réalisé certains épisodes, Nakache et Toledano en ont confié d’autres à des cinéastes amis : Pierre Salvadori (En liberté !), Nicolas Pariser (Alice et le maire) et Mathieu Vadepied (La Vie en grand). Les différences entre eux sont subtiles. La plus notable, dans les cinq premiers épisodes, diffusés le 4 février (la série en comporte 35), est due à Pierre Salvadori. Il est le seul à avoir tourné des images en extérieur, placées dans le pré-générique. Pas n’importe quelles images : celles d’une mère et de son fils qui se recueillent devant une des terrasses de café visées par les terroristes le 13 novembre 2015, où des photos, des bougies, des fleurs ont été déposées.

Car c’est là l’une des idées-forces de la série : situer les séances d’analyse aux lendemains des attentats qui ont eu lieu à Paris en novembre 2015. Tragédie ayant provoqué un traumatisme considérable avec des répercussions sur chacun, même si elles s’expriment de façon plus ou moins marquée, comme on peut le voir chez les patients du docteur Dayan. Avoir choisi ce moment est judicieux, car l’événement est partagé par tous : il exacerbe les relations entre l’intime et le collectif.

C’est d’autant plus vrai chez les patients des deux premiers épisodes : ils étaient ce soir-là en première ligne. Il s’agit d’une chirurgienne (Mélanie Thierry) et d’un policier (Reda Kateb) qui a dû intervenir au Bataclan quand les meurtriers s’y trouvaient. C’est latent, même si moins sensible, chez la jeune championne de natation qui s’est cassé les poignets (Céleste Brunnquell) et chez le couple préoccupé par un éventuel futur enfant (Pio Marmaï et Clémence Poésy). Quant à Philippe Dayan (Frédéric Pierrot), qui, dans le cinquième épisode, va consulter à son tour une psychanalyste de ses anciennes connaissances (Carole Bouquet), il traverse lui-même une crise qui s’est manifestée y compris le soir des attentats.

On ne jurera pas qu’En thérapie propose une image parfaitement exacte de ce qui se passe en analyse. Nous disions que la parole est ici le moteur de l’action : celle-ci réserve des surprises et des rebondissements presque théâtraux, comme dans le premier épisode, où ce que révèle la jeune chirurgienne à son psy prend les allures d’un aveu spectaculaire. Le rythme des échanges est aussi savamment tissé : l’épisode à trois personnages – le mari, l’épouse, le psy –, entre tension et sketch de couple, est riche en vives reparties. Le récit mené par le policier de son intervention au Bataclan est un grand moment de cinéma mental. Avec ses seuls mots, il parvient à faire comme si on y était, à ses côtés, dans une atmosphère de terreur et l’odeur de la mort.

Cependant, En thérapie montre la psychanalyse sous un jour qui n’est ni hermétique ni folklorique. D’abord parce que les séances sont prises dans leur durée : c’est l’avantage du dispositif simplissime de la mise en scène, qui confère un gage d’authenticité. Ensuite parce que, sans y toucher, les auteurs de la série n’ont pas rechigné à être didactiques. Ayant parfois affaire à des patients récalcitrants, le praticien ressent la nécessité d’expliquer que ce qu’ils viennent chercher dans son cabinet n’est pas forcément ce qu’ils y découvriront. Il donne aussi quelques indices. Comme ici : « Un choix même fictif est un choix qui dit quelque chose de vous. De l’autre qui parle en vous. Cet autre mystérieux. » Les puristes trouveront sans doute à redire ici ou là. Il reste que la cure psychanalytique, aujourd’hui déconsidérée alors qu’on nous vante les neurosciences jusqu’au gouvernement, est ici montrée dans le respect de sa richesse et de sa complexité.

En thérapie ne serait pas cette réussite si les comédiens ne s’y montraient pas souverains. Une grande partie de la crédibilité de la série repose sur eux. Mélanie Thierry, Reda Kateb, Céleste Brunnquell, Pio Marmaï, Clémence Poésy et Carole Bouquet sont impeccables. Quant à Frédéric Pierrot, il offre à Philippe Dayan son physique affable et sa voix chaude, parasitée parfois par un trouble intérieur, un accès de nervosité. Bref, il incarne un psy plus vrai que nature. On prend rendez-vous ?

En thérapie, Arte, 4 février, 20 h 55. Disponible sur arte.fr dès le 28 janvier.

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