La Commune : Une commémoration qui dérange

La « légende noire » de la Commune a toujours ses adeptes dans les rangs de la droite. D’autres nient son apport à la République.

Michel Soudais  • 10 mars 2021 abonné·es
La Commune : Une commémoration qui dérange
© Anne-Christine POUJOULAT / AFP

Les Versaillais ont une postérité. Cent cinquante ans après, la Commune de Paris continue de révulser quelques élus et intellectuels de droite. L’historien Pierre Nora est de ceux-là. Invité le 4 mars dans le grand entretien de France Inter, il n’a pas caché son hostilité à toute commémoration de cette expérience révolutionnaire. _« Oui Napoléon, non la Commune », a lâché l’académicien en réponse à Léa Salamé qui lui demandait s’il fallait commémorer le bicentenaire de la mort de Napoléon (5 mai 1821) et la Commune de Paris (18 mars-28 mai 1871).

Début février, c’est la droite du Conseil de Paris qui avait mené la charge contre les commémorations prévues pour le cent-cinquantième anniversaire. Opposé à l’attribution d’une subvention de 12 000 euros aux « Amies et Amis de la Commune de Paris 1871 », Rudolph Granier, élu Les Républicains du XVIIIe arrondissement, a reproché à cette association, qu’il assimile un peu vite à un satellite du PCF, de « glorifier les événements les plus violents » de ce soulèvement ; d’abriter une pétition contre l’inscription de la basilique du Sacré-Cœur aux monuments historique dans le prolongement de la Commune qui, ironise-t-il, « n’a pas été l’amie des monuments de Paris » en évoquant « les incendies […] qui ont ravagé des pans entiers de la capitale ».

« Nous n’avons pas de raison d’honorer ce triste moment de guerre civile », a renchérit Antoine Beauquier, élu du XVIe, alors que le Conseil de Paris était amené à se prononcer sur les commémorations prévues par l’équipe d’Anne Hidalgo. L’invitation à poser dans les mairies d’arrondissement des plaques rappelant la mémoire des élus de la Commune enrage particulièrement ce proche de Christine Boutin, qui lance alors aux élus de la majorité : « Pourriez-vous dénoncer les casseurs après avoir honoré en grande pompe ceux qui ont choisi de brûler les Tuileries, le palais d’Orsay, les synagogues et notre Hôtel de Ville ? » Si son collègue du même arrondissement de l’Ouest, David Alphand, admet que la Commune a pu avoir un « versant généreux et inspirant », il reproche à Anne Hidalgo d’« occulter sa part d’ombre, de crimes et de violences », énumérant alors l’exécution des généraux, de l’archevêque de Paris, les otages, l’incendie de l’Hôtel de Ville, mais également cette abomination qu’a été « la confiscation des moyens de production ».

Cette survivance de la « légende noire » de la Commune de Paris, dont l’origine remonte aux affrontements entre ses défenseurs – les fédérés – et les troupes versaillaises, n’est pas surprenante. Elle avait déjà résonné dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale le 29 novembre 2016 quand Patrick Bloche, qui présidait précisément cette séance du Conseil de Paris, avait défendu avec succès, au nom du groupe socialiste, une résolution proclamant notamment « la réhabilitation des victimes de la répression de la Commune de Paris ».

Il est plus étonnant d’entendre un historien comme Pierre Nora affirmer que « la Commune n’a pas apporté grand-chose à la construction de la République ». Une affirmation contredite par le président du Sénat, sur la même antenne, le 9 mars : « La Commune c’est un événement qui est important dans notre histoire et va avoir une influence tout au long de la IIIe République », estime Gérard Larcher, qui se revendique du gaullisme.

De fait, comme le rappelait l’historien Roger Martelli, coprésident de l’association Les Amies et amis de la Commune de Paris 1871, à la suite de cette séance houleuse du Conseil de Paris (1), « sans doctrine figée, sans même un programme achevé, la Commune a fait en quelques semaines ce que la République mettra bien du temps à décider ». La séparation de l’Église et de l’État, l’enseignement primaire et professionnel laïque et gratuit, l’ouverture de l’enseignement professionnel aux filles, le développement des associations et organisations syndicales, la réquisition des logements vides figurent parmi les proclamations de la Commune qui inspireront les grandes lois de la République. D’autres restent à réaliser : l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, la citoyenneté accordée aux étrangers, le droit de révocation des élus… Contre le voile d’oubli que les héritiers des Versaillais tentent de maintenir, ces valeurs républicaines portées par les acteurs de la Commune méritent d’être mieux connues et diffusées.

(1) « La Commune est un bien commun que la République se doit de célébrer », _Le Monde, 28 février.

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