« Pussyboy »,de Patrick Autréaux : Corps et âme

Dans _Pussyboy_, Patrick Autréaux raconte l’intense relation érotique entre deux hommes, menant sur des chemins imprévus.

Christophe Kantcheff  • 7 avril 2021 abonné·es
« Pussyboy »,de Patrick Autréaux : Corps et âme
© Joël Saget/AFP

Aimer reste un mystère. Pourquoi tombe-t-on amoureux de telle personne ? Comment être sûr qu’il s’agit de ce sentiment ? Ces questions forment la trame du nouveau livre de Patrick Autréaux, Pussyboy. Un texte au registre très différent des précédents puisque à prédominance érotique.

« Le désir est un rift. Sa présence m’ouvre du crâne au cul, comme si j’étais un pot de miel où il se met à tremper à sa guise deux doigts, à les lécher, à réclamer une cuillère pour y puiser goulûment. » Le narrateur a fait connaissance dans un backroom de Zakaria, un jeune homme né en Algérie et arrivé à 16 ans en France pour y travailler. Zak est un feu follet. Il passe au domicile du narrateur comme il l’entend, à la fréquence qu’il décide, en s’annonçant sans parfois donner suite.

Zak est « l’amant arabe ». « Un cliché jamais bien loin de l’insulte » chez les gays, parce que sous-entendant une prétendue médiocrité sexuelle. Le jeu avec les clichés est l’un des motifs de Pussyboy. Là, ils sont repoussés : « Une relation ne se compose peut-être que de ce qui peu à peu se défait en nous des a priori… »  Ailleurs, ils refont surface : « Je me dis qu’avec lui j’ai surfé sur les stéréotypes. Qu’on veuille lutter contre eux je le comprends, je m’efforce moi-même de le faire. Mais qu’on reconnaisse aussi leur force d’attraction en s’y soumettant, c’est ce qui s’est produit entre nous. » Patrick Autréaux convoque aussi La Femme à barbe, peinte au XVIIe siècle par José de Ribera, qui représente une femme ressemblant à un homme et donnant le sein. De l’ultra–sensibilité du téton à une audacieuse hypothèse théologique, ces pages intrépides oscillent entre érudition souriante et renversement des regards.

Entre les amants, dans un premier temps, la liberté sexuelle est infinie. À chaque rencontre, les deux hommes repoussent un peu plus les frontières de la découverte et du plaisir. Cette énergie extatique s’insuffle dans la langue de Pussyboy. Plus encore, le narrateur cherche à déceler les tensions communes à l’acte sexuel et à l’écriture : « Écrire. Baiser. Il me semble qu’ainsi s’opère un analogue mouvement qui a soif de vérité, qui la cherche et soupçonne qu’elle ne peut être qu’une limite. » L’auteur-narrateur s’interroge sur la motivation de ce texte, sur la nécessité d’écrire cette histoire. Là encore, le récit prend le cours d’une révélation, de la même manière que Zak a révélé au narrateur des territoires de jouissance. Où il est question, de façon surprenante, du grand-père de Patrick Autréaux, personnage déterminant de son enfance et dans sa formation, auquel il a déjà consacré un livre, Le Grand Vivant (Verdier, 2016).

« Innocence » est un mot qui revient au moins deux fois. L’exploration sexuelle des corps, aussi impudique soit-elle, avait l’innocence en partage, à laquelle s’est progressivement refusé Zak, pour des raisons de croyances religieuses. Ce retrait, s’il marque la fin de la relation telle qu’elle s’épanouissait, n’est ici qu’anecdotique. Quelque chose s’est marqué profondément, comme l’encre qui s’imprime sur les pages. Indélébile, même si l’histoire n’est plus. « Ce livre n’est-il pas le signe d’un désir aussi puissant et qui tient peut-être de l’amour ? » Quand la fureur des corps ne fait qu’un avec la vibration des sentiments.

Pussyboy, Patrick Autréaux, Verdier, 118 p., 14 euros.

Littérature
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