« Solstice », de Lucas Scholtes : Le futur en mode « oups »

Véritable « BD d’éducation », Solstice, du très jeune Lucas Scholtes, court après deux lycéens pris entre nature, culture et aventure. À lire à tout âge.

Marion Dumand  • 28 avril 2021 abonné·es
« Solstice », de Lucas Scholtes : Le futur en mode « oups »
© Éditions l’Employé du moi

an je sais pas du tout quoi faire, les études ça a l’air chiant et le travail ça a l’air rabaissant. Je sais pas comment font les gens pour s’adapter à tout ça. » -François dit, Gus opine. Les deux amis sont doublement perplexes : face à leur avenir et face à la ville détruite qu’ils surplombent. Dans une semaine, Gus et François passeront le bac. Au lieu de réviser, ils partent à l’aventure. Pourtant, ni l’entrée dans la forêt ni la découverte d’immeubles en ruine n’élimineront leur questionnement existentiel : que faire ? Que faire avec ou sans le bac, mais en tout cas « après » ? Que faire dans le monde adulte ?

Bienvenue dans Solstice, la bande dessinée que Lucas Scholtes a réalisée juste après avoir passé le bac et qui a été son projet personnel en DMA (diplôme des métiers d’art) au lycée parisien Auguste-Renoir. Alors, François et Gus, c’est lui aussi. Mi-jumeaux mi-fantasme. Deux héros qui apparaissent sur le toit du bahut, sécheurs de cours beaux comme des héros de manga, dessinés en contre-plongée et en short.

François, le brun au visage long et aux cheveux courts, regarde l’horizon depuis une cheminée ; Gus, assis, porte boucle d’oreille, cheveux blonds hirsutes et grand sourire. Une première apparition qui les pose là, en gars vifs et complices, lumineux et étonnamment attirants. Ce qu’ils resteront tout au long de Solstice. Même avant l’aventure, alors qu’ils réintègrent les rangs de la classe, se soumettent aux visages clos du pion et de la prof, envisagent de réviser le bac…

Gus et François ne sont pas des grands rebelles, des ados à problèmes, déscolarisés, en rupture familiale. Jusqu’à ce qu’une vision – la fuite des « clodos possédés » par un trou dans le grillage – ne leur donne envie de mettre les voiles : direction la forêt, l’inconnu. Et c’est là que le talent, déjà bien palpable, de Lucas Scholtes se révèle pleinement.

Ce jeune dessinateur est un grand joueur. Il joue avec les codes du récit populaire (les monstres, la cité perdue, le guerrier solitaire) et du roman d’éducation (le maître, l’apprentissage, la camaraderie, la solitude et la bascule vers l’âge adulte). Il joue avec son stylo-caméra en des plongées, contre-plongées et survol en mode drone. Il joue avec sa tablette graphique pour les aplats de couleur et les quelques dégradés, avec son clavier pour les onomatopées et les langues inédites (« wxcvertympb »). Il joue des tics du manga pour les scènes d’action et des figures libres pour les scènes de rêve. Tous ces détournements se combinent pour créer un langage singulier et cohérent : son efficacité est redoutable, son intelligence pleine d’humour et d’inattendu.

Car, bien que très carré, Lucas Scholtes déraille, au sens premier du terme. C’est bon. Et astucieux. Aux mystères mis en place par le récit, il n’apporte que des hypothèses ou des suggestions. Les clodos possédés ? Peut-être des enfants malformés abandonnés par leurs parents. La ville détruite ? Ni préfabriquée ni postnucléaire. Et cet Ivan qui vit seul dans la forêt ? Son cauchemar en fait un ancien ouvrier de la ville, mais peut-on se fier aux rêves ? Aux vérités assénées, Solstice préfère les apprentissages et le questionnement. Plutôt que les formules mathématiques, les lycéens choisissent d’apprendre la cueillette sauvage, avec baselle tubéreuse et ciguë, ou de suivre un cours de chasse sans blabla : « Fouif / ! / Stop / Regardez bien / bom / bom / fouif / dash / splurt / ouah / je vais ramener ça au camp / sprotch », et zou, voilà le dîner.

Tout professeur peut être un salaud s’il mésuse de son savoir. Et c’est la caricature des profs castrateurs, l’apparition onirique d’un sanglier-juge autoritaire. Ou la raison de la colère de Gus et François quand Ivan se dérobe : « Je suis sûr qu’à vous aussi la génération du dessus a dit que vous étiez incapables de reprendre le flambeau au lieu d’essayer de vous le transmettre au mieux possible. » Le flambeau le plus intense, en ce jour le plus long, pourrait bien être celui du choix. Au problème initial (« que faire ? »), Solstice n’a pas qu’une issue.

Solstice, Lucas Scholtes, éd. L’employé du moi, 128 p., 16 euros.

Littérature
Temps de lecture : 4 minutes
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