Pourquoi l’Europe fait moins que Biden

Le Green New Deal nécessite une intégration politique accrue.

Liêm Hoang-Ngoc  • 5 mai 2021
Partager :
Pourquoi l’Europe fait moins que Biden
© Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

À l’heure où l’État fédéral américain met sur pied un plan de relance de 3 000 milliards de dollars et propose un taux minimal d’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale, l’Union européenne reste incapable de lancer son Green New Deal et d’engager le chantier de l’harmonisation fiscale.

La faute en incombe aux Européens eux-mêmes, qui ont voulu la monnaie unique sans les instruments budgétaires et fiscaux permettant d’organiser la convergence des économies vers le haut et de faire face aux récessions. Le budget européen est « rikiki ». Pour en financer l’extension, il n’existe pas de Trésor européen, levant un impôt européen (consistant par exemple à prélever une fraction d’un impôt sur les sociétés harmonisé) et émettant des euro-obligations. Le pacte de stabilité (temporairement suspendu) limite le rôle des budgets nationaux.

Le déploiement de ces instruments nécessite une modification des traités en faveur d’une intégration politique accrue, que ni les citoyens de chaque État ni leurs dirigeants ne semblent souhaiter. De ce fait, bien que le traité de Lisbonne ait étendu le champ de la codécision – entre le Conseil de l’Union européenne et le Parlement européen –, les États conservent au Conseil la mainmise sur les questions fiscales et sur la négociation des recettes du budget communautaire, en disposant même d’un droit de veto incarné par la règle de l’unanimité.

Voilà pourquoi l’harmonisation fiscale, honnie par le Royaume-Uni, reste lettre morte, même après le Brexit. L’Irlande, le Luxembourg et les Pays-Bas s’opposent à la mise en place d’une assiette commune et consolidée de l’impôt sur les sociétés, prélude à une harmonisation des taux. Seule la France défend franchement l’idée d’une taxe sur le chiffre d’affaires des Gafam, après avoir elle-même freiné l’instauration d’une taxe sur les transactions financières. Le taux minimal de 21 % proposé par Joe Biden a donc peu de chances d’être appliqué dans l’Union européenne.

Voilà pourquoi le plan de relance européen, porté à bout de bras par la France et l’Allemagne face à l’hostilité des pays « frugaux », est quatre fois moins important que le plan américain. La Cour de Karlsruhe entend même contraindre l’Allemagne à en bloquer l’application, jugeant l’émission d’une dette commune potentiellement anticonstitutionnelle.

Au Parlement européen, parmi les groupes qui siègent à gauche de l’hémicycle, les députés S&D (socialistes et démocrates) et verts admettent peu ou prou que, dans le cadre de l’euro, l’alternative au dumping social passe par des avancées vers une union de transferts. Ce sujet est négligé par la GUE (Gauche unitaire européenne), où siègent les insoumis, qui ne remettent pourtant plus en cause la monnaie unique. Leur candidat à l’élection présidentielle continue néanmoins de défendre l’extension du droit de veto et menace de suspendre la contribution française au budget, au nom de la souveraineté nationale. Pour autant, par crainte d’apeurer un électorat attaché à l’euro, il n’ose plus proclamer que la souveraineté réelle consiste à disposer du pouvoir de battre monnaie pour en user pour le bien commun, ce qui implique de sortir de l’euro en cas d’enlisement du projet européen…

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Le fantôme de Franco hante toujours l’Espagne
Monde 20 novembre 2025 abonné·es

Le fantôme de Franco hante toujours l’Espagne

Cinquante ans après la mort du dictateur, l’ancien roi Juan Carlos publie un livre de mémoires qui ravive les polémiques. Alors que le parti d’extrême droite Vox progresse, le pays oscille entre les conquêtes démocratiques d’une société transformée et les persistances d’un héritage franquiste.
Par Pablo Castaño
Face à la Russie, l’Europe de la défense divise la gauche
Analyse 19 novembre 2025 abonné·es

Face à la Russie, l’Europe de la défense divise la gauche

Devant la menace russe, l’instabilité américaine et la montée des tensions géopolitiques, quelle attitude adopter ? Entre pacifisme historique, tentation souverainiste et réorientation stratégique, le PS, les Écologistes, LFI et le PCF peinent à trouver une ligne commune.
Par Denis Sieffert
Vue d’Ukraine, l’« abstraction morale » de la gauche
Décryptage 19 novembre 2025 abonné·es

Vue d’Ukraine, l’« abstraction morale » de la gauche

Des militants ukrainiens appellent les partis européens aux valeurs pacifistes et antimilitaristes à se saisir des questions de défense, pour permettre à leur pays de continuer à résister à l’invasion russe, et pour les sociétés occidentales elles-mêmes.
Par Pauline Migevant
Le dilemme du retour des réfugiés syriens
Récit 19 novembre 2025 abonné·es

Le dilemme du retour des réfugiés syriens

Depuis la chute du régime Assad le 8 décembre dernier, plus de 300 000 Syriens sont rentrés chez eux après des années d’exil forcé et douloureux. Partagés entre l’espoir et la méfiance, les Syriens réfugiés en France s’interrogent.
Par Céline Martelet et Bushra Alzoubi