Renaud, légende béton

La Philharmonie de Paris célèbre le chanteur français avec un matériau riche mais une tendance dommageable à l’hagiographie.

Jules Peyron  • 19 mai 2021 abonné·es
Renaud, légende béton
L’exposition se veut multiface, quitte à en devenir par moments superficielle. n
© Jules Peyron

Renaud n’est pas mort, malgré les rumeurs sur son état de santé dont nous abreuve la presse people depuis des années. Renaud n’est pas mort, mais a pourtant droit à une exposition retraçant sa vie et sa carrière musicale, à la Philharmonie de Paris. C’est dire si le chanteur est une icône. Des géants, on en compte bon nombre sur les clichés qui parcourent l’exposition. Desproges, Gainsbourg, Brassens, Coluche… Ses modèles, ses copains, tous morts, pas lui. « Une expo de son (mon) vivant – ou ce qu’il en reste – c’est franchement pas ordinaire, faut bien dire. » C’est par ces mots, et avec l’humour qui le caractérise, que le chanteur accueille les spectateurs venus le célébrer.

Consacrer une exposition à Renaud, l’un des plus grands chanteurs de l’Hexagone, c’est faire face à des choix cornéliens. Par quel bout prendre cette vie, cette œuvre ? Un peu tous, semblent avoir répondu les commissaires de l’exposition : David Séchan, frère jumeau de l’artiste, et Johanna Copans, auteure d’une thèse sur Renaud.

L’intimité du cocon familial qui a vu naître le chanteur du côté de la porte -d’Orléans, les barricades de Mai 68 qui furent pour lui une seconde naissance, l’univers musical de l’artiste, ses nombreux engagements, ses liens avec Charlie Hebdo, son rapport à l’enfance, ses performances live… Sans chercher une exhaustivité inatteignable, l’exposition se veut multiface, quitte à en devenir par moments superficielle. Lorsqu’il nous plonge au cœur de la vie intime du chanteur, de sa construction en tant qu’artiste mais aussi en tant qu’homme, le parcours, riche de documentations et pièces d’archives, peut se montrer émouvant. Avant de virer à la fiche Wikipédia lorsqu’il effleure, par exemple, les engagements politiques du « citoyen du monde » qu’est Renaud.

À grandes ambitions, grands moyens : la scénographie conçue par l’artiste Gérard Lo Monaco, lequel a créé nombre de décors de scène du chanteur, est -particulièrement réussie. Les couleurs vives et les décors en -carton-pâte plongent les spectateurs dans un univers de bande dessinée. L’amour de Renaud pour le neuvième art est d’ailleurs évoqué à travers des figurines de Tintin tout droit sorties de sa collection personnelle.

Renaud regrette l’enfance et n’a eu de cesse de la sublimer dans ses textes, rappellent les panneaux de l’exposition, tandis que les clips de « Mistral Gagnant » et « Morgane de toi » sont projetés aux visiteurs assis à l’ombre d’un mobile pour bébé. Ces chansons ont touché des générations entières et toucheront certainement les nouvelles.

Se rendre à cette « Putain d’expo », c’est aussi entendre une mère tenter de canaliser son fils un peu trop agité en lui lisant le texte de « Crève salope », première chanson de Renaud, que l’on peut déchiffrer sur l’un de ses carnets de jeunesse. Cette jeunesse qui semble être au cœur de tout. Mise sous le feu des projecteurs au point d’en oublier l’essentiel.

Renaud n’est pas le mythe d’une époque. Les époques, il les a traversées une par une. Et son évolution artistique et personnelle a accompagné des millions de Français depuis les années 1970. Le chanteur n’a jamais dissimulé les recoins sombres de son intimité, se livrant dans ses textes avec une impudeur assumée dès ses débuts. Ses addictions, ses ruptures amoureuses, tous ses auditeurs les connaissent, qui ont évolué avec le bonhomme. Sans forcément emprunter la même direction. Celle, par exemple, qui fait débuter l’album de la « renaissance » en 2016 par la chanson « J’ai embrassé un flic ». Avant que l’artiste déclare, un an plus tard, qu’il votera Macron à l’élection présidentielle.

Le loubard des débuts a disparu. Celui qui chantait encore en 2006 « Autre fléau, autre danger / Ces putains d’églises à la con / Les évangélistes timbrés / Rabbins, Ayatollahs, curetons», se fait tatouer Jésus dans le dos. Et puis, en juillet 2020, il sort le « Corona song », dont le refrain se limite à un désolant « Coronavirus / connard de virus / crevard de virus / coronavirus ».

Dans la première salle de l’exposition, on peut lire une lettre que le père de Renaud, Olivier Séchan, adresse à son fils en 1986. Il lui écrit : « J’ai l’impression que tu te laisses un peu trop récupérer. Le “Société tu m’auras pas” est loin. » Difficile de ne pas se demander ce que dirait le paternel – décédé en 2006 – aujourd’hui. Les commissaires de l’exposition, que Renaud appelle à raison dans le texte introductif de l’exposition ses « apologistes », ont décidé de soigneusement éviter la question. Quitte à parler de l’artiste au passé. Construire l’exposition autour de l’évolution artistique et politique du chanteur de ses débuts en 1975 à aujourd’hui, plus que comme une rétrospective, aurait sûrement permis une plus grande cohérence d’ensemble.

Fans comme néophytes devront donc composer avec cette exposition hagiographique. Les premiers seront émus devant les documents d’archives, les ratures du chanteur dans ses premiers textes, ses interviews de jeunesse… Les seconds en apprendront sur sa vie et son œuvre. Chacun sortira de là nostalgique. Avant de se rappeler que le chanteur est toujours vivant, toujours debout.

Renaud, « putain d’expo ! », Philharmonie de Paris, 01 44 84 44 84, philharmoniedeparis.fr

Musique
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