Rhiannon Giddens : L’éternité à claire voix

Entre classiques folk et Monteverdi, Rhiannon Giddens revisite un répertoire intemporel.

Jacques Vincent  • 5 mai 2021 abonné·es
Rhiannon Giddens : L’éternité à claire voix
© Scott Dudelson / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Pour qui est sensible aux voix, avec une totale fascination pour certaines et un rejet tout aussi vif pour d’autres, une chanteuse comme Rhiannon Giddens est une véritable bénédiction. Reçue comme telle au moment de la parution de son premier album solo en 2015.

Ce nouvel album, They’re Calling Me Home, comme le précédent, a été enregistré en collaboration avec le musicien italien Francesco Turrisi. En Irlande, pour la petite histoire, où les deux musiciens sont allés s’isoler pendant le confinement. Il a surtout la particularité d’être majoritairement composé de reprises, pour la plupart de chansons des répertoires traditionnels américain, anglais et italien. Une exception tout de même avec « Si Dolce è’l Tormento », extrait des Scherzi Musicali publiés en 1632 par un Monteverdi nouvellement entré dans les ordres. Et une chanson signée Alice Gerrard, chanteuse de bluegrass, banjoïste et guitariste. C’est le morceau qui ouvre l’album. Interprété sur un mode gospel, indiquant clairement une intention de réinterprétation des chansons choisies, il met particulièrement en valeur la puissance, la profondeur et la majesté de la voix de Rhiannon Giddens, une voix magique capable de conjurer tous les sorts et qui semble même les défier. On pense à une Odetta pour sa ferveur presque religieuse, raclant les mots comme pour les polir. Voix d’autant plus mise en valeur qu’elle n’est accompagnée que d’une viole dont Rhiannon Giddens joue elle-même, et d’un accordéon, entre les mains de Francesco Turrisi, dont le son s’approche de celui d’un harmonium convoquant furtivement le fantôme de Nico. Un minimalisme qui pose le principe d’un disque enregistré avec très peu d’instruments, pour la plupart traditionnels. Outre les deux précités : banjo, divers tambours et autres percussions, calebasse, flûte irlandaise… Pas trace d’électricité.

Dans les repères que l’on peut avoir sans être un féru de musiques traditionnelles figure « When I Was in My Prime », enregistré dans les années 1960 par Nina Simone – et il faut du cran pour passer après elle – et Pentangle, l’une des figures, avec Fairport Convention ou Lindisfarne, de ce que l’on a appelé à l’époque le renouveau folk anglais, mélangeant savamment instruments traditionnels et électriques. Pentangle avait néanmoins choisi pour ce titre de ne garder que la seule voix de sa chanteuse Jaqui McShee. Rhiannon Giddens et Francesco Turrisi ont ajouté viole et banjo. Mais restreint « Nenna Nenna », un chant traditionnel italien, à leurs deux voix. Au plus près de sa forme originelle.

C’est un ensemble de chants réunis pour ce qu’ils portent de spiritualité, religieuse ou profane. D’âme tout simplement. Et c’est naturellement que le disque se termine par une version, elle aussi très personnelle, avec cornemuse irlandaise et tambour à main, de « Amazing Grace », ce chant religieux devenu hymne politique. Des musiques qui semblent ancestrales, ressorties de la nuit de l’humanité, auxquelles les deux musiciens insufflent une nouvelle vie. Un concentré d’éternité.

They’re Calling Me Home, Rhiannon Giddens et Francesco Turrisi, Nonesuch/Warner.

Musique
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