Une ambition écolo pour la lutte sociale

Face à la multiplication des crises écologique, économique mais aussi politique, un collectif d’associations et de syndicats choisit le thème de l’emploi pour faire entendre sa voix.

Barnabé Binctin  • 12 mai 2021 abonné·es
Une ambition écolo pour la lutte sociale
À la raffinerie Total de Grandpuits.
© THOMAS SAMSON / AFP

Pas d’emplois sur une planète morte ». Tel est le titre du rapport publié le vendredi 7 mai par la coalition Plus jamais ça. Un document de 42 pages qui enjoint, dès le préambule, de ne pas se « résoudre à rester dans l’opposition, entretenue par beaucoup, entre la préservation de la planète et la création d’emplois », et défend pour cela toute une série de mesures importantes, parmi lesquelles le conditionnement des aides publiques à des engagements sociaux et environnementaux, l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui font du profit, la semaine de 32 heures, une hausse du Smic ou encore l’établissement d’un salaire maximum.

Le timing n’est pas anodin. « À l’heure où Biden opère un tournant aux États-Unis, en faisant un lien direct entre l’emploi et l’écologie, le contraste est saisissant avec la France, explique Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, l’une des organisations signataires. La loi climat est très pauvre en la matière et continue de distinguer les enjeux climatiques des questions sociales. » Dimanche 9 mai, plusieurs dizaines de milliers de personnes ont à nouveau défilé, dans près de 150 villes en France, pour réclamer un texte bien plus ambitieux, conformément aux propositions formulées par la Convention citoyenne pour le climat.

L’idée de conjuguer transition écologique et justice sociale à partir de la question du travail n’est pas nouvelle pour autant. Un précédent rapport, « Un million d’emplois pour le climat », avait déjà été publié en 2017 par la Plateforme emplois-climat, qui réunissait déjà certaines organisations signataires telles qu’Alternatiba, la Confédération paysanne, Emmaüs ou Attac. Désormais, avec une vingtaine d’organisations syndicales et associatives au total, elles composent le collectif Plus jamais ça, du nom de cet appel commun à « préparer le jour d’après » lancé au tout début de la crise du coronavirus (1).

Un rassemblement opéré autour du rapprochement symbolique de la CGT et de Greenpeace, entamé lors du contre-G7 d’Hendaye, à l’été 2019. « Ce fut la toute première fois que je rencontrais Philippe Martinez, témoigne Jean-François Julliard, le directeur de l’ONG écolo. Nous n’avions jamais échangé auparavant. » Il faut aussi y voir un héritage indirect du mouvement des gilets jaunes, qui aura créé un terreau propice en contribuant à imposer ce slogan dans le débat public : « Fin du monde, fin du mois, même combat ».

Pour y apporter des pistes de réponse, la coalition Plus jamais ça s’est donc mise en place au printemps 2020, structurée autour d’un noyau dur qui rassemble quatre syndicats (FSU, Solidaires, la Confédération paysanne et la CGT) et quatre associations écologistes (Les Amis de la Terre, Oxfam, Attac et Greenpeace) (2). Depuis, ce comité de pilotage se réunit toutes les deux semaines et travaille activement à formuler des mesures politiques très concrètes. En témoigne le plan de sortie de crise avec ses 34 propositions, rendu public il y a un an et régulièrement cité par nombre d’acteurs politiques à gauche, à l’heure où s’ébauchent les programmes de la future campagne présidentielle. « Il ne s’agit pas de juxtaposer nos idées, mais bien de tomber d’accord sur des positions communes que l’on peut défendre ensemble », souligne Frédéric Amiel, coordinateur général des Amis de la Terre.

Pour ce faire, la coalition s’engage directement dans des luttes emblématiques sur le terrain, à l’image de celle contre les menaces qui pèsent sur l’avenir de la raffinerie de Total à Grandpuits, ou celle pour la sauvegarde de la papeterie Chapelle Darblay, la dernière usine de recyclage de papier en France. Le 28 avril dernier, la mobilisation organisée à Bercy, au pied du ministère de l’Économie, a permis d’obtenir l’engagement du gouvernement de maintenir les activités du site, promis à la fermeture par son propriétaire finlandais.

Preuve du succès de la dynamique, la coalition se déploie désormais partout en France, à la faveur d’une trentaine de comités locaux qui se sont ainsi créés au cours des derniers mois. Des états généraux doivent permettre de les réunir une première fois, le 29 mai prochain. Et un nouveau plan de sortie de crise, réactualisé et augmenté des amendements proposés par la base militante, est annoncé pour la fin de l’été, au moment de la rentrée politique.

Alors que se prépare l’échéance électorale de 2022, cette coalition peut-elle être appelée à y jouer un rôle décisif ? « Nous n’interviendrons pas directement dans le champ de la recomposition électorale, assure Aurélie Trouvé. Mais nous voulons montrer que les mouvements sociaux font de la politique, au sens noble du terme, et qu’il faudra compter avec eux. » Tout en envoyant, au demeurant, un message très clair à l’attention des partis politiques : « Nous faisons la preuve qu’on peut regrouper un arc de forces très large autour d’un projet radical. » La véritable union de la gauche et des écologistes n’est peut-être pas là où on l’attend le plus.

(1) Tribune publiée le 27 mars 2020, sur France Info.

(2) Lire Politis n° 1605, 28 mai 2020.

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