Gilb’R : Lévitation libre

Activiste au long cours de l’électro, Gilb’R publie On danse comme des fous, un très bel album planant et subtilement déviant.

Jérôme Provençal  • 9 juin 2021 abonné·es
Gilb’R : Lévitation libre
© Raymond van Mil

S’il n’a pas la notoriété d’un Laurent Garnier, Gilb’R – Gilbert Cohen à la naissance – n’en compte pas moins parmi les protagonistes les plus marquants et influents de la scène électro française. Entré dans le grand jeu musical au début des années 1990, avec une prédilection initiale pour le hip-hop et la drum’n’bass, il s’est d’abord fait connaître comme DJ grâce notamment à ses prestations sur Radio Nova. Faisant chauffer régulièrement ses platines à travers le monde (avant la pandémie), il développe également une importante activité de compositeur et de remixeur.

Par ailleurs, Gilb’R dirige depuis 1996 Versatile Records, label dont le catalogue éclectique – comme son nom l’indique – privilégie les musiques électroniques obliques, voire bien cintrées ou même hallucinées. Outre ses propres productions, en solo ou au sein de divers projets collaboratifs (dont Château Flight et Bright Future), on y trouve des disques d’autres précieux outsiders français tels que Joakim, Étienne Jaumet, I:Cube, Acid Arab ou encore Zombie Zombie.

Tombé amoureux d’une Néerlandaise, Gilb’R a quitté Paris en 2014 pour emménager à Amsterdam, ville où il vit toujours avec sa petite famille et où il se sent très bien. Même si l’excitation de l’arrivée est un peu retombée, il trouve là-bas une belle stimulation au contact de musiciens locaux (Young Marco, Tako, Satoshi, Steele Bonus, etc.). « Ils m’ont fait découvrir plein de choses et m’ont aidé à avancer », nous confie-t-il.

Une fois installé à Amsterdam, Gilb’R a commencé à travailler beaucoup plus en solitaire. Au bout d’un moment, ayant accumulé une bonne trentaine de morceaux, il a ressenti l’envie de réaliser un album à partir de ce matériau. Ainsi va prendre forme On danse comme des fous, son premier album solo, qui vient de paraître chez Versatile (évidemment).

Contenant finalement dix morceaux minutieusement agencés (l’écoute au casque est vivement recommandée pour en saisir tous les détails et reliefs), l’album diffuse une musique étrange et nébuleuse, au tempo plutôt lent, dont le charme opère peu à peu, discret mais irrésistible. De la house minimaliste sous acide ? De la disco mélancolique en apesanteur ? De l’ambient de l’an 3000 ? Du krautrock (1) patraque ? De la drum’n’bass perdue dans l’espace ?

Aucune étiquette ne colle tout à fait, ne pouvant restituer à elle seule la magie singulière de cette musique douce-dingue du bout de la nuit. Quant au titre de l’album, il peut apparaître comme un parfait trompe-l’œil (ou l’oreille), tant le contenu ne prête pas précisément à un déhanchement frénétique, ou il peut au contraire s’entendre dans un sens littéral : oui, ici, on danse comme des fous – c’est-à-dire que ça bouge vraiment beaucoup dans la tête.

Long, obsédant, distordu, tout en basses profondes et vrilles insidieuses, le magnifique morceau « Triangle Days » se révèle un agent psychoactif particulièrement puissant : décollage garanti. Exempt de scories, l’album entier maintient un haut niveau de flottaison et invite à léviter librement, quelque part hors du monde.

Finalisé en 2020, cet objet sonore non identifié n’a pas pour autant été conçu en réaction à la pandémie. Celle-ci a néanmoins amené Gilb’R à repenser sa pratique de la musique. « Sur le plan personnel, durant les premiers mois, j’ai trouvé cette expérience plutôt cool. Ça m’a permis de me poser, de réfléchir, de lire, d’écouter de la musique ou d’en faire, sans pression. N’ayant plus besoin de me déplacer, j’ai pris du recul par rapport au mode de vie – lié au DJing et aux voyages incessants – qui était le mien auparavant et dont j’étais bien dépendant sur le plan financier. Je me suis demandé comment en sortir. Ça m’a donné envie en particulier de commencer à faire du live. »

Gilb’R s’est aussi lancé dans un projet fondé sur l’enregistrement et la mise en musique de ses rêves. « Comme j’ai une vie onirique assez importante, j’ai déjà réalisé dix-huit morceaux (sourire). » Un album devrait paraître sous peu. Nos oreilles en frétillent déjà.

(1) Désigne le rock progressif, expérimental et psychédélique allemand de la fin des années 1960.

On danse comme des fous, Versatile, gilbr.bandcamp.com

Musique
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