Langues châtiées

Des dizaines de milliers de personnes ont défilé, samedi 29 mai, pour la défense des langues régionales.

Patrick Piro  • 2 juin 2021
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Langues châtiées
© Patricia Huchot-Boissier / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Guingamp, Bayonne, Perpignan, Bastia et même Lille : des dizaines de milliers de personnes ont défilé, samedi, en couleurs locales, soutenues par une presse régionale en ébullition, indignées par la décision prise le 21 mai par le Conseil constitutionnel. Examinant la loi portée par Paul Molac (indépendant) sur la protection des langues régionales (au nombre de 75, dont près de 55 hors métropole), les « sages » ont censuré la pratique de la méthode « immersive », consistant à enseigner à l’école dans une langue différente du français, ainsi que l’usage de signes diacritiques comme le tilde (~) pour l’état civil. Car « la langue de la République est le français », article 2, alinéa 1.

Une régression brutale, selon les défenseurs des langues régionales. Elle met en péril les subventions de dizaines d’écoles privées sous contrat qui pratiquent depuis cinquante ans la méthode immersive, reconnue à l’étranger et qui, d’expérience, ne nuit pas à l’apprentissage du français. Quant à l’interdiction des signes diacritiques, elle réactive la bataille emblématique remportée en cassation, fin 2019, par les parents de Fañch, qui avaient obtenu le droit d’orthographier son prénom selon la graphie bretonne.

Alors que la langue française est de plus en plus bousculée pour son sexisme et sa complexité jalousement défendue par une élite, cet épisode illustre combien elle reste au service de l’esprit jacobin. L’alinéa 1 n’a été introduit qu’en 1992, pour la protéger de l’invasion angliciste, avec la promesse que les langues régionales n’étaient nullement visées. Il a pourtant fallu attendre 2008 pour que la Constitution les reconnaisse « patrimoine de la France » (article 75-1).

Et par le tour politique qu’elle a pris, l’affaire n’a décidément rien d’anecdotique. À un mois des élections régionales, c’est LREM, voire Jean-Michel Blanquer, qui pourrait porter le chapeau. Car la proposition de loi Molac, surprise !, a été adoptée le 8 avril contre l’avis du gouvernement : les langues régionales, socle d’identités en résistance à l’uniformisation mondiale, connaissent un net regain d’intérêt en France, toutes sensibilités confondues. Or ce sont 61 député·es du chaotique parti présidentiel qui ont saisi les « sages », avec la bénédiction active du ministre de l’Éducation nationale, contestant une loi pourtant votée par une majorité de leurs collègues LREM. Un Blanquer très remonté qui brandit le « phénomène catalan » pour justifier son aversion de la méthode immersive. Et revoilà le spectre du séparatisme, dont nul ne doutait qu’il servirait un jour à caricaturer les aspirations régionalistes. Emmanuel Macron, déclamant son amour des terroirs français (entretien donné à Zadig), et Jean Castex affirment rechercher une solution acceptable par le Conseil constitutionnel. On doute qu’elle rattrape la navrante bourde politique.

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Parti pris

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