« Petite Maman », de Céline Sciamma : La petite fille et son double

Petite Maman, cinquième long métrage de Céline Sciamma, est un film de deuil qui fait le pari de l’enchantement. Pari hautement réussi.

Christophe Kantcheff  • 2 juin 2021 abonné·es
« Petite Maman », de Céline Sciamma : La petite fille et son double
© Pyramide Films

Céline Sciamma s’aventure avec bonheur dans une nouvelle direction. Après la flamboyance des sens qui caractérisait Portrait de la jeune fille en feu, Petite Maman pourrait apparaître comme un film à l’ambition en demi-teinte, dont la durée, qui plus est, ne dépasse pas 75 minutes. Le cinquième long métrage de la cinéaste n’est pourtant pas une œuvre mineure. Elle est au contraire sa plus aboutie. Sa rigueur, remarquable notamment dans le choix des cadres et des plans fixes, permet au film de déployer sa profondeur et sa fantasmagorie.

Petite Maman débute de façon très réaliste. Dans une maison de retraite, une chambre a été vidée des objets qui s’y trouvaient. Une vieille dame vient de mourir, la grand-mère de Nelly (Joséphine Sanz), la mère de Marion (Nina Meurisse). Nelly, Marion et son mari (Stéphane Varupenne) se retrouvent dans la maison de la défunte, qu’il va aussi falloir vider. Un deuil s’ouvre. Les souvenirs d’enfance de Marion remontent ; elle retrouve ses cahiers d’écolière, qu’elle regarde avec sa fille.

Scènes banales d’un malheur qui ne l’est pas – la perte d’un être cher –, où la tristesse et la nostalgie se mêlent. Pour autant, tous les détails comptent dans ce début de film, que Céline Sciamma a manifestement pensé avec beaucoup de minutie. On note par exemple l’attention que Nelly porte aux autres, qui atteste chez cette petite fille de 8 ans d’une grande maturité. Ainsi, elle avait établi des relations avec toutes les vieilles dames voisines de la chambre de sa grand-mère. En outre, elle tente d’alléger la peine de sa mère en lui témoignant, par de petits gestes, son amour. Nelly éprouve elle-même de la peine et des regrets, celui en particulier de ne pas avoir dit au revoir à sa grand-mère avec l’intensité qu’elle aurait désirée. « Mais on ne sait jamais que c’est la dernière fois », lui répond en substance Marion. Une phrase qui se révélera être la clef de Petite Maman.

Le film prend une dimension fantastique à partir du moment où Nelly, trouvant un jeu de jokari chez la défunte, tente d’y jouer en vain car l’élastique craque et la balle est envoyée loin. Comme si Nelly ne pouvait rester seule à seule, poussée vers des rencontres dont elle n’avait pas envisagé qu’elles se produiraient, mais qu’elle avait secrètement souhaitées. Céline Sciamma reprend des éléments renvoyant au conte. Comme le double. Dans les bois, Nelly rencontre une petite fille, Marion (Gabrielle Sanz), qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Autre élément : les deux petites filles deviennent amies, et pour aller de la maison de l’une à celle de l’autre – qui est en fait la même maison –, les deux enfants suivent un chemin balisé, avec des indices reconnaissables, comme un arbre mort couché, la nature devenant un territoire magique. Non un espace de prodiges, mais un sas temporel, qui fait basculer d’une époque à une autre. On n’en dira pas davantage. Sinon que Petite Maman est un des plus beaux films de deuil que nous ayons vus, dont l’enchantement avive la force de l’émotion.

Petite Maman, Céline Sciamma, 1 h 12.

Cinéma
Temps de lecture : 3 minutes