2022, l’heure de l’écologie ?

Le rassemblement d’EELV à Poitiers a lancé la primaire destinée à choisir la candidature écologiste pour la présidentielle, que le mouvement estime avoir une réelle chance d’emporter.

Patrick Piro  • 25 août 2021 abonné·es
2022, l’heure de l’écologie ?
© Jean-François FORT / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

La file d’attente refoule jusqu’à l’entrée du parc de Blossac. Les Journées d’été des écologistes, tenues à Poitiers du 19 au 21 août, n’ont jamais été aussi prisées. Un public plus jeune que de coutume, avec beaucoup de nouvelles têtes. Plusieurs des maires écologistes qui ont enlevé des grandes villes en 2020 ont fait le déplacement, dont la plus incontournable, Léonore Moncond’huy, qui dirige la municipalité locale. « La bonne nouvelle, c’est que nous sommes 3 000 ! », clame Marine Tondelier, du bureau exécutif d’Europe écologie-Les Verts (EELV). La rencontre, qui a certes soigné le détail écolo, cohérence oblige (alimentation bio, déchets minimum, toilettes sèches, traduction en langue des signes, etc.), s’est cependant affichée au-delà de ses thématiques classiques. Moins d’énergies renouvelables, de vélo ou de batailles antipesticides, et plus d’actualité sociale et politique. L’écoféminisme s’exprime en force, le mouvement débat de la place centrale de l’écologie dans l’idée de république (1), des nouvelles stigmatisations qui le visent (islamogauchisme, séparatisme, racialisme, décolonialisme, féminisme anti-hommes, etc.). « Honteux, pathétique… », Emmanuel Macron est agoni pour son discours suspicieux sur la prévisible immigration afghane après la prise expresse de Kaboul par les talibans.

Mais un sujet interne domine : la primaire, qui doit départager par un vote les candidates et candidats qui briguent le soutien du Pôle écologiste (2) à la présidentielle d’avril prochain. Un créneau d’une heure leur a été attribué pour s’exprimer devant le public, selon un ordre établi par tirage au sort : Éric Piolle, Yannick Jadot, Sandrine Rousseau, Jean-Marc Governatori et Delphine Batho. Le pacte de non-agression est respecté, pas de petites phrases assassines lâchées devant les caméras. Au contraire : les postulant·es font assaut réciproque de civilité et de loyauté anticipée envers celle ou celui qui arrivera en tête (lire encadré p. 14), mettant en avant « la responsabilité », « le devoir », « la nécessité » d’une victoire écologiste en 2022. « La période est absolument cruciale, assène Julien Bayou, secrétaire national d’EELV. Nous vivons une crise climatique oppressante, et pour une vraie politique écologiste, il n’y a qu’une voie possible : une présidence écologiste. » À Poitiers, l’actualité renforce comme jamais le sentiment d’une impérieuse nécessité « de l’emporter ». Les interventions évoquent abondamment les drames d’un été catastrophique, qui a multiplié les records de température sur la planète, les inondations historiques, les méga-incendies. Et le premier volume du rapport 2021 du Giec qui affirme que le dérèglement climatique s’intensifie, et bien plus vite que ne le redoutaient les prévisions. « Les sondages montrent que la préoccupation des Français pour l’écologie n’a jamais été aussi vive, toutes catégories de population confondues, souligne Jean-Daniel Lévy, directeur délégué de l’institut Harris Interactive. Et ils perçoivent actuellement EELV comme l’une des forces politiques les plus dynamiques. »

Le moment politique de l’écologie serait-il advenu ? Julien Bayou veut y croire, bien sûr, qui présente 2022 comme l’aboutissement programmé d’une feuille de route conquérante entamée il y a deux ans et demi avec des élections européennes qui ont placé en mai 2019 la liste Jadot en tête de la gauche (13,5 %), puis municipales qui ont porté des écologistes à la tête de plusieurs grandes villes en juin 2020 (Marseille, Lyon, Strasbourg, Bordeaux, Grenoble, Besançon, Poitiers) et régionales (juin 2021), où EELV a fait bonne figure. Yannick Jadot, investi par EELV pour la présidentielle de 2017 (avant de se rallier à Benoît Hamon), mesure le chemin parcouru. « Il y a une forte accélération de la maturité collective de notre mouvement, et un sens nouveau des responsabilités. Toutes les formations politiques prennent position sur nos thèmes. Il y a cinq ans, personne ne se projetait dans la victoire d’un écologiste à la présidentielle. Aujourd’hui, on sent une forme de gravité face à une occasion historique qui nous impose d’être à la hauteur. »

« Nous avons des réponses crédibles sur tous les pans de la crise globale, écologique, sanitaire, sociale, démocratique… »

C’est-à-dire viser le second tour de la présidentielle, a minima. À Poitiers, personne n’imagine que le mouvement s’en sorte seul, alors que les candidatures testées par les sondages placent les écologistes en dessous de 10 % des intentions. Il faudra donc « rassembler », mot sésame. Le Pôle écologiste dénie cette capacité, dans l’objectif d’une victoire, à Jean-Luc Mélenchon, tête de file de La France insoumise (LFI) ou à la personnalité qui sera choisie par les socialistes : ce serait donc derrière la candidature écologiste, avec son projet. « Nous avons des réponses crédibles sur tous les pans de la crise globale, écologique, sanitaire, sociale, démocratique… », défend Julien Bayou, qui détaille son scénario idéal : tendre la main aux partenaires de gauche, pour gagner le soutien du PS, du PCF et du Parti radical de gauche (PRG) – voire de LFI –, moyennant un accord de gouvernement pour la législature à venir, autour d’une quinzaine de mesures fortes. « Il ne s’agira pas d’un ralliement et encore moins d’une reddition, mais d’un travail collectif », tient à préciser Éric Piolle. Et l’on promet dans la foulée que la candidature écologiste ira « jusqu’au bout ». Yannick Jadot, au souvenir de son infructueux ralliement à Benoît Hamon, en 2017, est plus nuancé. « Se maintenir en course alors que l’on est loin dans les sondages, cela ressort tout autant d’une pensée magique que d’envisager de gagner seul. Alors à nous de construire le rapport de force qui nous permettra d’être devant. »

Ce scénario ne convainc pas tout le monde, au parc de Blossac. Damien Carême se dit échaudé par « l’échec » de la large coalition gauche-écologiste scellée autour de l’eurodéputée EELV Karima Delli pour la régionale des Hauts-de-France, qui n’a pas perturbé le face-à-face Bertrand (droite)-Chenu (RN). « La dynamique est de notre côté, mettons en avant notre projet, qui répond à l’urgence écologiste et sociale, pour emporter l’adhésion du public », estime l’ancien maire de Grande-Synthe, qui voit Yannick Jadot le mieux équipé pour cette ambition, de par sa notoriété nationale.

Alain Coulombel, l’un des deux porte-parole d’EELV, appelait au contraire, dans une tribune publiée dans Le Monde (17 août), à abandonner « toute prétention hégémonique » pour travailler à un rassemblement des gauches, « à laquelle aspire une grande partie de l’électorat, sans faire un préalable de la candidature écologiste ».

Une fois bouclée sa délicate feuille de route politique, Julien Bayou envisage une deuxième phase : la coalition des luttes écologistes et sociales derrière la candidature écologiste. « Nous subissons une méfiance préjudiciable de la part des syndicats, des associations, des ONG. Serait-il compréhensible que la mobilisation climatique s’arrête devant le rideau de l’isoloir ? » Soupir de Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement. « Pour un mariage, il faut être deux. Il aurait été judicieux de construire politiquement cette stratégie en amont, avant de voir se multiplier des candidatures qui toutes vont se réclamer de l’écologie, à gauche. Pour nos mouvements, intimement pétris de l’urgence à agir, ces calculs sont scandaleux. C’est bien beau d’en appeler à la responsabilité collective, mais nous avons l’impression que notre colère n’est pas entendue. » Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, le rejoint. « Aujourd’hui, LFI nous fait le même genre d’appel du pied… Alors qu’il y a trois ans, les partis politiques s’en foutaient. Et puis notre public est divisé sur ces questions. »

(1) Après l’interpellation d’Anne Hidalgo, maire de Paris, qui en doutait, en novembre 2020.

(2) Coalition politique lancée en août 2020, avec EELV, Génération·s, Génération écologie, Cap écologie (fusion de Cap21 et de l’Alliance écologiste indépendante) et le Mouvement des progressistes.

Politique
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