Nos chers cousins

Dans Singes, Aurel mène l’enquête sur les primates. Grâce au savoir de spécialistes, il offre une représentation complexe de ces animaux souvent caricaturés et questionne le rapport que nous entretenons avec eux.

Christophe Kantcheff  • 10 novembre 2021 abonné·es
Nos chers cousins
© Aurel/Futuropolis

Aurel a fait une BD sur Sarkozy, une autre sur Hollande… Pourquoi ne ferait-il pas une BD sur les singes ? Avouons que ce début d’article (l’accroche, dit-on dans le métier) ne se justifie que pour sa (mauvaise) blague. Pour le reste, loin de nous l’intention de faire injure à nos amis les primates. D’autant que ce nouveau livre de notre dessinateur préféré est, dans le genre, c’est-à-dire entre BD et essai graphique, ce qu’on a fait de plus exhaustif et de plus empathique sur le sujet.

La passion d’Aurel pour les singes est évidente – et semble-t-il ancienne –, mais elle ne s’exprime pas sans discernement. Elle est même très exigeante : s’il s’est lancé dans ce projet, ce n’est pas pour revenir avec 200 pages contenant des généralités ou des idées rebattues, tout énamourées soient-elles. Singes est le fruit d’une enquête fouillée, requérant de son auteur une recherche livresque, nombre d’heures d’interviews avec des spécialistes, et quelques déplacements dont le plus marquant est celui qu’il a effectué en Ouganda pour voir de près des chimpanzés dans leur milieu naturel. Singes est le résultat de cette enquête, mais en est aussi le récit. L’auteur s’y met en scène, notamment face à ses interlocuteurs, qui lui délivrent leur savoir au gré de ses questions. Pas de pesant didactisme ici, ni d’ennui par répétition. Lors de chaque rencontre, de chaque dialogue, y compris par écran interposé, Aurel laisse se déployer l’imagination et la fantaisie que la situation ou les propos lui inspirent. Rien de mieux que l’humour pour faire passer des informations sérieuses. Aurel en a bien conscience : il est malin comme un…

Que vise son enquête ? D’abord faire tomber des idées reçues. Comme celle, tenace, selon laquelle l’homme descendrait du singe. La vérité est que nous avons un ancêtre commun, et que nous sommes deux espèces cousines. Surtout, Aurel cherche à percer une énigme et un mystère. L’énigme, ce sont toutes les interrogations qui tournent autour du singe à mesure que l’on en sait davantage sur lui. Un exemple entre cent : le fait que les singes ingèrent la plante qui les guérit quand ils sont malades ne relève pas de l’instinct. Bien qu’il soit erroné de parler de savoir à leur propos, l’hypothèse d’un usage culturel des plantes médicinales n’est pas à exclure. Ainsi, plus l’auteur en apprend – et nous avec lui –, plus les représentations d’un animal mimétique et comique tombent au profit d’une vision beaucoup plus complexe, parfois vertigineuse tant la communauté des singes recèle de richesses comportementales, inquiète aussi, car leur nombre décline rapidement en raison avant tout de la déforestation qui détruit leur habitat.

Enfin, le mystère. Qu’est-ce qui se joue entre l’homme et le singe, cet animal à la fois si proche et si différent ? Qu’est-ce que l’observation des primates peut nous enseigner ? Les réponses que Singes donne sont nombreuses. Parmi elles : l’interdépendance des espèces, l’humilité, ou la conviction qu’une des plus grandes qualités de l’homme, parce qu’elle lui appartient en propre, est d’avoir la conscience de l’Autre… Comme le souligne le philosophe Baptiste Morizot dans sa préface, cette BD soulève de façon féconde « la question politique par excellence de vivre en commun dans un monde d’altérités ». Après Josep, son film dessiné aux allures d’hymne à l’humanité préservée en période de barbarie, Aurel nous offre la possibilité d’élargir notre horizon. C’est sacrément précieux.

Singes, Aurel, Futuropolis, 200 pages, 25 euros.

Littérature
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