Pas de progrès social sans combat associatif

La loi « séparatisme » et son contrat d’engagement républicain menacent la liberté d’action et de parole des associations.

Véronique Séhier  • 23 novembre 2021 abonné·es
Pas de progrès social sans combat associatif
Une réunion à Poitiers contre les violences envers les femmes, le 1er septembre 2019, en hommage à Sarah Vedel, tuée par son ex-compagnon.
© GUILLAUME SOUVANT/AFP

Mouvement féministe et d’éducation populaire, le Planning familial milite depuis plus de soixante ans pour le droit à l’éducation à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, et combat toute forme de violence et de discrimination. Véronique Séhier a été coprésidente de l’association de 2013 à 2021, et élue au Conseil économique, social et environnemental (Cese) en tant que responsable associative. Face à la loi « séparatisme », elle réaffirme l’importance des libertés d’action et de parole des associations, moteurs du progrès social.

Verbatim

Véronique Séhier Ancienne coprésidente du Planning familial. Rapporteure de « Droits sexuels et reproductifs en Europe, entre menaces et progrès », de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité du Cese.

« C’est grâce aux luttes et aux actions illégales des associations que les lois sur la contraception et l’avortement ont vu le jour. Avant la loi Neuwirth de 1967, le Planning familial allait chercher des moyens de contraception en Suisse et en Angleterre, pour les rendre accessibles à des femmes et à des couples qui en avaient ras le bol de vivre avec la peur au ventre. Des médecins, notamment ceux du groupe « Information santé », se sont mobilisés à travers le manifeste des 331, déclarant qu’ils pratiquaient des avortements de façon illégale. Ce sont des engagements de ce type et ces actions illégales qui ont permis de faire progresser la société tout entière.

Avant la loi Veil de 1975, les femmes qui en avaient les moyens partaient aux Pays-Bas ou en Angleterre pour se faire avorter. Les autres prenaient des risques énormes, certaines en mouraient ou devenaient stériles. Simone Veil disait : « Il suffit d’écouter les femmes.» En tant que mouvement d’éducation populaire, le planning familial est à leur écoute. Et écouter les femmes, c’est pouvoir entendre leurs besoins en matière de contraception, de recours à l’avortement, d’accès à la PMA aujourd’hui. Depuis des années, celles qui en ont les moyens se rendent à l’étranger pour réaliser leur désir d’enfant. En France, des médecins pratiquent des PMA dans -l’illégalité pour éviter aux femmes ces parcours aberrants. C’est le rôle des associations de porter ces sujets, d’être le reflet de la société civile. D’être à l’écoute et de prendre des risques pour que les revendications se traduisent dans les lois et participent au progrès social.

La loi « séparatisme » et son contrat d’engagement républicain pourraient représenter des menaces pour les libertés associatives. Nous ne savons pas encore comment ce contrat sera mis en place, mais nous avons des raisons de nous inquiéter, notamment lorsqu’on sait que les actions d’un seul membre peuvent remettre en cause le contrat d’engagement républicain d’une association dans son ensemble.

Avec ce texte, qui va-t-on stigmatiser ?

Avec ce texte, qui va-t-on -stigmatiser ? Le Planning familial a été, à un moment donné, dans la ligne de mire du Printemps républicain, parce qu’il assure un accueil inconditionnel de toutes les femmes, y compris celles qui sont -voilées. Face à ce contrat d’engagement républicain, nous nous battrons contre toutes les formes de discrimination et de haine, que ce soit à l’encontre de personnes LGBT ou vis-à-vis de femmes -voilées.

Les associations qui luttent pour les droits des personnes migrantes risquent d’être encore plus touchées par cette loi « séparatisme ». On l’a vu avec le débat autour du délit de solidarité. Que défend-on, avec les politiques migratoires actuelles ? Comment mettre en avant les droits humains fondamentaux ? C’est le véritable combat à mener aujourd’hui, et on ne doit rien lâcher. Parce qu’il n’y aura pas de progrès social s’il n’y a pas d’associations qui se battent pour faire reconnaître les droits de ces personnes-là. Il nous faut nous mobiliser pour défendre les droits humains fondamentaux pour toutes les personnes, et affirmer les solidarités qui font respecter ces droits.

Nous devons conserver notre rôle de vigie, y compris sur les questions de -laïcité. On voit bien combien cette notion peut être interprétée de façon variable selon le point de vue duquel on se place. Pourtant, la loi de 1905 est très claire, elle définit une véritable séparation entre le religieux et le politique. Nous devons faire en sorte que cette loi soit respectée par tout le monde, comme le défendait le défunt Observatoire de la laïcité.

Les lois en matière de contraception ou d’avortement ont fait progresser les droits des femmes. Mais, plus encore, elles s’inscrivent dans un objectif d’autonomie et d’émancipation. Les valeurs républicaines, « liberté », « égalité », « solidarité », c’est beau. Mais, si les femmes n’ont pas le droit de disposer de leur corps, elles ne sont ni libres ni égales au sein de la société. Les droits sexuels et reproductifs sont une condition manifeste de cette égalité entre les femmes et les hommes. Lutter contre l’homophobie, contre les LGBTphobies, pour les droits de toutes et tous, c’est se battre pour l’égalité entre toutes les personnes, et c’est donc, selon moi, une lutte qui s’inscrit dans les valeurs de la République. Mais elle n’est possible que si la liberté d’action et la liberté de parole des associations sont maintenues.

Lutter pour les droits de toutes et tous, c’est s’inscrire dans les valeurs de la République.

La liberté d’agir, pour les associations, c’est de continuer à lutter pour faire avancer les droits fondamentaux. L’avortement est aujourd’hui considéré comme l’un d’eux, mais on sait à quel point il a été compliqué de l’installer dans la loi et, désormais, de le faire progresser et -appliquer de façon égale sur l’ensemble du territoire. En août 2020 était déposée une proposition de loi visant à renforcer le droit à l’avortement en allongeant de deux semaines le délai légal pour avoir recours à l’IVG. L’Assemblée nationale l’a votée en première lecture, mais le Sénat l’a rejetée. C’est notre rôle, en tant qu’association, de faire en sorte que cette loi puisse être votée un jour.

Notre rôle est aussi de contribuer à ce que les lois bénéficient à tout le monde et soient appliquées de la même façon sur tout le territoire. On sait par exemple qu’à certains endroits de -nombreux médecins brandissent leur clause de conscience pour refuser de pratiquer des IVG. Pour certaines femmes, il est donc extrêmement difficile de faire valoir ce droit. J’ai lu récemment un article sur un médecin qui s’est installé dans un désert médical, dans l’Orne, et qui prévient ses patientes qu’il ne leur prescrira pas de moyens de contraception, parce qu’il a décidé qu’il bénéficiait d’une clause de conscience à ce sujet… On sait aussi que la circulaire donnant accès à l’avortement aux femmes migrantes n’est pas respectée et qu’il y a des endroits où on leur demande de payer en liquide pour se faire avorter.

Les associations ne sont pas des prestataires. La liberté associative, c’est la possibilité de faire avancer un projet de société au sein d’une république démocratique. Nous sommes en lien avec l’État, qui nous donne des subventions pour faire progresser l’accès à certains droits et services. Et, dans le même temps, nous disposons d’une liberté de parole qui nous permet de dénoncer des situations d’injustice et d’alerter sur l’inaction des pouvoirs publics. Il est essentiel que les associations gardent cette liberté de parole et d’action, pour pouvoir faire progresser les libertés et les droits de toutes les personnes, quelle que soit leur situation.

Les libertés peuvent se renier très facilement, qu’il s’agisse de la liberté de manifester, de tenir des réunions, de s’exprimer, etc. Plus que jamais, nous devons rester vigilants, pour faire en sorte que ces libertés associatives perdurent et, avec elles, le progrès social. »

Propos recueillis par Pauline Gensel

Société Politique
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