Algorithmes et démocratie

Le surgissement dans la campagne de l’application Elyse pose la question du rôle des acteurs privés dans l’animation du débat public.

Antonin Amado  • 19 janvier 2022
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Algorithmes et démocratie
© Riccardo Milani / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

L’apparition sur nos smartphones de l’application Elyse est venue animer une campagne présidentielle atone. Son fonctionnement, intuitif et didactique, est calqué sur celui du site de rencontre Tinder. Il permet de se prononcer sur des centaines de propositions politiques, toutes anonymisées. L’utilisateur peut exprimer son accord, son rejet ou son désintérêt. Au bout d’une cinquantaine de réponses, l’algorithme vous propose un classement des postulants à la fonction suprême basé sur un pourcentage. Arrive alors en tête celui ou celle avec laquelle vous avez le plus d’affinités électorales.

Ce surgissement a d’abord été accueilli avec bienveillance, tant par les observateurs que par les états-majors des candidats. Car enfin, de quoi s’agit-il ? De réconcilier les jeunes avec la politique, de les drainer vers l’isoloir alors que l’abstention s’annonce historique.

Mais confier à des acteurs privés, même partiellement, l’animation du débat public a nécessairement un prix. Et d’abord celui d’une simplification à outrance d’une offre de gouvernement forcément plus complexe et articulée que l’égrènement de propositions examinées indépendamment les unes des autres. Celui de la transparence ensuite. Les deux étudiants qui ont lancé Elyse ont choisi de ne pas utiliser de solution open source pour coder leur application. Difficile dans ces conditions de savoir pourquoi, en cas d’égalité, Emmanuel Macron est systématiquement favorisé, ni de comprendre pourquoi l’ordre affiché ne correspond pas au pourcentage de réponses. Un internaute patient et suffisamment qualifié s’est échiné à percer cette énigme. Il a même débusqué une faille de sécurité lui permettant d’ajouter son nom à la liste des candidats, démontrant ainsi que sécurité et opacité s’accordent mal, particulièrement quand un pays doit collectivement déterminer son destin.

Plane enfin une sourde menace : quid de l’utilisation des données collectées préalablement à l’utilisation de l’application. Si les chiffres n’ont pas été communiqués, il est établi qu’Elyse a déjà été téléchargée plus d’un million de fois sur l’App Store et sur Android. L’internaute n’est certes pas tenu de laisser son nom mais il doit renseigner une date de naissance, un genre et un code postal. L’ingénieur Mathis Hammel a ainsi débusqué une étude de l’université américaine Carnegie Mellon estimant que 87 % des Américains sont identifiables grâce à ces datas. Et cela sans utiliser des métadonnées, largement disponibles, ni des programmes d’intelligence artificielle. À cette aune, il est urgent que les propriétaires d’Elyze s’engagent publiquement à ne céder à personne une base de données dont l’utilisation par un parti pourrait fausser le jeu démocratique.

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Parti pris

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