Fatima El Atmioui : La politique en bas de chez soi

Forte d’un combat contre la démolition du quartier Schuman, à Melun, Fatima El Atmioui et un collectif d’habitants montrent qu’il est possible de surmonter la méfiance des pouvoirs publics.

Hugo Boursier  • 19 janvier 2022 abonné·es
Fatima El Atmioui : La politique en bas de chez soi
Concertation citoyenne sur l’avenir du quartier Schuman.
© www.appuii.wordpress.com

D emain, j’enverrai un courrier au maire pour savoir où on en est. » Cette phrase, Fatima El Atmioui l’a répétée des centaines de fois. Aux locataires qu’elle représente depuis des années devant le bailleur Habitat 77, à ces mères en colère qui se plaignent, lorsqu’elles vont chercher leurs enfants, que l’école Jean-Bonis est dégradée, et à tous les habitants du quartier Schuman, à Melun, qui réclament auprès d’elle les dernières informations sur la démolition de leur immeuble. À ces derniers, elle est fière de rappeler que, le 30 juin 2021, le maire de la ville, Louis Vogel, a déclaré au conseil municipal qu’aucune destruction ne sera réalisée si tel n’est pas le souhait de la majorité des occupants.

Cette victoire, qui n’est pas la sienne « mais celle de tous les gens d’ici qui se sont mobilisés, des jeunes aux plus anciens », rappelle humblement Fatima, a été arrachée après cinq ans de combat. Cinq ans de lettres, de mails, d’appels, de rendez-vous avec la mairie, la préfecture et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), pour montrer que tout raser reviendrait à « déraciner toutes celles et tous ceux qui vivent ici », soit environ deux mille personnes. Ça ne lui a jamais fait peur, ces efforts constants pour relancer, insister, voire secouer les pouvoirs publics. Il faut dire que, dans ce quartier surnommé « le village gaulois », tant les luttes « pour préserver les équipements » sont récurrentes, Fatima El Atmioui est tombée très jeune dans la marmite de la résistance : à l’adolescence, elle s’occupait déjà des démarches administratives de ses parents, marocains, arrivés à Schuman en 1977 et mal à l’aise avec l’écriture française.

« Ce qui est sûr, c’est qu’elle ne compte pas son temps. Tout ce qu’elle a donné au quartier… » raconte Geneviève Doucet, qui préside l’amicale des locataires TMH – pour Trois Moulins Habitat, l’autre bailleur de Schuman. Les deux femmes se connaissent bien : Geneviève Doucet était animatrice au centre social. Elle s’est même occupée des frères de Fatima El Atmioui. Aujourd’hui à la retraite, elle observe l’énergie de son amie avec tendresse, persuadée qu’elle cherchera toujours « le bien pour l’ensemble des habitants ».

« Il ne suffit pas de réclamer. Il faut occuper les instances. »

« J’ai un caractère à ne pas rester là à rien faire », complète Fatima. Lorsqu’elle décide d’arrêter de travailler après avoir accouché de son quatrième enfant, elle ne peut pas s’empêcher d’observer avec dépit l’état de sa tour. Et de vouloir y remédier. « Je me suis dit : “Bon, autant créer une association avec les gens qui habitent ici.” » C’était en 2004 et, depuis, la Melunaise n’a cessé de s’engager localement. Elle devient présidente de cette structure trois ans plus tard, puis est élue à la Confédération nationale du logement. « Ce poste me permettait d’avoir un droit de regard au conseil d’administration du bailleur », ajoute-t-elle, en précisant : « Pour agir, il faut être là où les décisions sont prises. Il ne suffit pas de réclamer. Il faut occuper les instances. »

« Il ne suffit pas de réclamer. Il faut occuper les instances. »

Un principe qu’elle va garder précieusement jusqu’en 2016, quand naissent les premières rumeurs de démolition issues du cabinet engagé par la collectivité dans le cadre du nouveau programme de rénovation urbaine (NPRU). Geneviève Doucet et Fatima El Atmioui sont devenues entre-temps conseillères citoyennes et font valoir l’article 1.3 de ce NPRU, qui stipule que « les habitants sont parties prenantes du projet de renouvellement urbain » et « sont associés à toutes ses étapes dans une dynamique de coconstruction ». De là, Fatima crée le collectif Schuman avec d’autres associations, organise des rassemblements, lance des pétitions et affiche une banderole sur le premier bâtiment visible à l’entrée de la ville – devenue un emblème du bras de fer made in Schuman et immortalisée sur Google Maps: « Non à la destruction de nos logements, oui à la réhabilitation de Schuman ».

Mais quelque chose lui échappe. Fatima sent que, malgré cette mobilisation, le terrain glisse. « On nous renvoyait à des termes techniques qui dépassaient nos compétences », regrette-t-elle. Elle constate, à demi-mot, que cette stratégie sert aussi à décourager les habitant·es. « Les élus améliorent la vie de leurs propres électeurs, ce qui n’est pas notre cas. Sans toutes les associations qui se battent pour la vie du quartier, il n’y aurait rien ici. Qu’une part des habitants ne vote pas profite à certains politiques, qui, sous prétexte de rénovation urbaine, relèguent les plus modestes dans des endroits reculés. En outre, cet éloignement améliorerait l’image de la ville. Je trouve ça inadmissible », grince Fatima El Atmioui. De là à baisser les bras ? Pas son style.

La militante s’entoure. Et pas de n’importe qui : la coordination Pas sans nous, syndicat des habitants des quartiers populaires, et l’Alternative pour des projets urbains ici et à l’international (Appuii), une association qui cherche à démocratiser la rénovation urbaine. « Quand on a affaire aux institutions, on a parfois l’impression qu’on est devant une hyperpuissance. Mais il y a des failles. Avec Fatima, nous avons fait une traduction politique des arguments avancés par la mairie », explique Renée-Claire Glichtzman, ancienne professionnelle des politiques de la ville et membre de Pas sans nous. Alors toutes deux s’acharnent, avec la participation des habitants, à tenir tête aux institutions. Devant la mobilisation générale, la mairie renonce à la démolition à l’été 2018. Jusqu’à ce que l’Anru exige un « projet plus ambitieux », obligeant la ville à relancer une étude l’an dernier.

Le combat continue, et le collectif Schuman décide de créer un livret contenant les propositions concrètes des habitants, conseillés par les architectes et urbanistes de l’association Appuii. « On a pu démontrer qu’il y avait une possibilité d’ouvrir le quartier sans le détruire », se remémore la présidente du collectif Schuman. « Le travail qui a été fait était énorme. La journée, on rédigeait des propositions, le soir on restituait », se remémore Renée-Claire Glichtzman. Un boulot qui paie : le maire finit par céder lors de ce fameux conseil municipal de juin dernier. « Ce qu’on a bloqué, c’est la soif d’argent des promoteurs. » Mais les propositions concrètes de réhabilitation ne sont pas encore tombées. N’en déplaise aux « bureaucrates qui n’en ont rien à faire du petit peuple », selon l’expression de Geneviève Doucet, Fatima El Atmioui restera vigilante. « Tant que vous êtes une association qui fait des gâteaux, vous êtes des gentils. Mais quand les quartiers populaires se mêlent de la politique, on devient gênants. »

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