« En nous », de Régis Sauder : Course d’obstacles

Régis Sauder retrouve les jeunes qu’il avait filmés dix ans plus tôt dans Nous, princesses de Clèves pour constater le chemin parcouru. En nous : entre émancipation accomplie et espoirs pour la suite.

Christophe Kantcheff  • 22 mars 2022 abonné·es
« En nous », de Régis Sauder : Course d’obstacles
Rien n’est donné à ces jeunes issus de quartiers populaires. Pas même l’égalité des chances.
© Shellac Films

En 2011, Régis Sauder filmait une classe de première du lycée Diderot, à Marseille, qui étudiait La Princesse de Clèves. Outre l’ouverture à un chef-d’œuvre de la littérature rendue possible par l’Éducation nationale et les talents d’une enseignante, le cinéaste montrait la manière dont les élèves s’appropriaient le texte, au point que les questions soulevées par Madame de Lafayette trouvaient dans leur vie intérieure des échos très puissants. D’où le titre : Nous, princesses de Clèves.

En nous, Régis, Sauder, 1 h 39.
Resté en contact avec plusieurs de ces désormais ex-lycéens et lycéennes, Régis Sauder a décidé, dix ans plus tard, de les revoir, caméra en main, pour faire le point sur ce qu’ils sont devenus. Être sortis d’une position assignée par les parents ou la société, avoir gagné en liberté, est sans conteste ce qui ressort des propos de ces tout juste trentenaires. Pour certaines, l’arrivée d’un enfant, tandis que le père est parti, a été l’occasion de revendiquer un mode d’éducation différent par rapport à la famille (Anaïs, Virginie) ou de vivre au grand jour un amour lesbien (Morgane). Pour d’autres, le départ de Marseille a été nécessaire : à Paris, Cadiatou affiche sa singularité à travers son look très travaillé, tandis qu’Armelle vit dans la banlieue parisienne, où elle est cadre pour la caisse primaire d’assurance maladie. Laura a fait ses études à Strasbourg et, malgré la mort de sa mère survenue peu de temps après l’obtention de son bac, est parvenue à décrocher son diplôme en pharmacie. Abou est infirmier en Suisse, les conséquences du covid-19 sur les hôpitaux en France ayant rendu les conditions de travail intenables à ses yeux.

La réussite de ce parcours d’émancipation, toujours accompli dans la difficulté car rien n’est donné à ces jeunes issus de quartiers populaires – pas même l’égalité des chances –, est parfois plus limitée. La précarité guette, accentuée par la pandémie (Sarah) ; ou bien la violence des ex-compagnons a laissé de profondes traces (Aurore, très touchante dans sa difficulté à vivre).

Régis Sauder utilise le documentaire qu’il a réalisé il y a dix ans non pour resituer précisément telle ou tel – il n’est pas indispensable d’avoir vu Nous, princesses de Clèves pour apprécier En nous –, mais comme images témoins d’un passé déjà ancien. Seule à être restée à la même place, c’est-à-dire au lycée Diderot, leur professeure exprime en off sa désillusion quant aux politiques visant l’Éducation nationale et son interrogation sur sa possible démission.

En nous est fondé avant tout sur la parole des unes et des autres plus que sur une immersion dans leur quotidien, l’éparpillement spatial des protagonistes expliquant sans doute cela. Ce qui en fait parfois la limite. Quand la caméra les accompagne, les séquences sont souvent fortes. Comme celle où Cadiatou et Armelle visitent l’exposition sur le « modèle noir » au Musée d’Orsay, qui est aussi pour elles une forme de revendication par l’image à l’intérieur même du film.

Après J’ai aimé vivre là (lire Politis, n° 1673, du 29 septembre 2021), pénétrante transposition cinématographique de la matière littéraire d’Annie Ernaux, Régis Sauder poursuit son œuvre ultra-contemporaine, en phase avec celles et ceux qui résistent aux conformismes de toutes sortes. En nous montre une jeunesse combative à qui il reste encore du chemin à accomplir pour s’affirmer totalement. Cadiatou, Armelle, Sarah, Abou et les autres en ont conscience. Leur maturité impressionne.

Cinéma
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