La campagne les laisse sur leur faim

Associations, collectifs militants et syndicats déplorent que leurs voix ne soient pas suffisamment entendues, y compris à gauche.

Lucas Sarafian  • 6 avril 2022 abonné·es
La campagne les laisse sur leur faim
À la marche pour le climat de Toulouse, le 25 mars.
© Lilian Cazabet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Un quinquennat hors normes est sur le point de s’achever. Cinq ans où la rue a vu se succéder les mobilisations et où toutes les causes ont pu être criées. Les rassemblements féministes, les mobilisations antiracistes comme les marches pour le climat ont jalonné le mandat d’Emmanuel Macron. D’une même voix, collectifs militants, associations et syndicats ont admis que ces cinq dernières années ont été « le plus grand quinquennat des mobilisations sociales ». Manifestations contre le projet de réforme des retraites, loi de programmation de la recherche, loi dite de « sécurité globale », ou pour la défense de l’hôpital public, sans oublier le mouvement des gilets jaunes.

La colère n’a cessé de s’exprimer dans tous les secteurs face à la politique libérale menée par le gouvernement. « Tout ça pour ça ? » C’est la question que se posent aujourd’hui des acteurs du mouvement social qui estiment leurs causes et revendications insuffisamment prises en compte par les candidats. Et pour certaines, la gauche est à ranger au nombre des défaillants.

C’était la « grande cause du quinquennat ». Le président de la République l’avait proclamé, le 25 novembre 2017, journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. Rebelote samedi 2 avril à La Défense Arena : « La grande cause de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la lutte contre les violences à l’égalité salariale et tant et tant d’autres combats, nous l’avons menée […]. À nouveau l’égalité femmes-hommes sera la grande cause du quinquennat qui s’ouvre », s’il est réélu, a lancé Emmanuel Macron. Une formule en forme d’aveu. La « grande cause » s’est révélée un « grand échec », pouvait-on lire sur certaines affiches, le 20 novembre 2021, dans plusieurs grandes villes de France lors de la journée de mobilisations à l’appel du collectif féministe #NousToutes. Et pile cinquante ans après la première grande manifestation du Mouvement de libération des femmes (MLF) pour la liberté sexuelle et l’avortement. Pour Pauline Baron, porte-parole du collectif #NousToutes, « il n’y a pas eu de réponse de la part du gouvernement malgré les annonces qui ont été formulées durant ce quinquennat ». Une référence à l’échec du Grenelle des violences conjugales organisé à la fin de l’année 2019. En clair, le collectif féministe ne veut pas revivre un quinquennat constitué de belles promesses et d’objectifs non remplis comme celui-ci.

« Au bout de ces cinq ans, il est clair que nous avons réussi à mobiliser et sensibiliser autour de cette cause comme jamais, affirme-t-elle. Mais nous observons aussi que nos sujets ont été oubliés pendant cette campagne. » En regardant les programmes de tous les candidats, elle observe que « tous reprennent quelques mesures : à gauche, plutôt sur le logement et, à droite, sur la formation des policiers. » Mais aucun ne prend le problème dans sa globalité en proposant « à la fois des avancées sur l’éducation, les places d’hébergement, l’accès à de meilleurs contrats… ». En clair, du saupoudrage pour éviter de s’attaquer à la question de façon transversale. Et si « le sujet est plus évoqué par les candidats de gauche, par rapport à l’autre bord », aucun candidat ne se distingue réellement à leurs yeux. Plus encore, Pauline Baron déplore que ce sujet ne soit devenu que de la « com » pour les -candidats alors que la société est fermement demandeuse d’avancées en la matière.

« Ni les candidats ni les médias ne mettent en avant le climat. Ce sont nos mobilisations qui le font. »

Les marches pour le climat ont, elles aussi, été très nombreuses durant cinq ans pour appeler le gouvernement à prendre des initiatives et à respecter ses objectifs. « Aujourd’hui, toute la classe politique parle d’écologie. Et c’est, d’une certaine façon, le fait de nos mobilisations. Ils ont compris qu’il fallait prendre en compte ce sujet », observe Gabriel Mazzolini, porte-parole des Amis de la Terre, qui a participé activement aux rassemblements émaillant ce quinquennat. Lui, comme beaucoup de membres d’associations écologistes et d’ONG, s’affirme déçu par le mandat d’Emmanuel Macron, qui avait pourtant annoncé son objectif deux semaines seulement après son arrivée à l’Élysée en clamant « Make our Planet great again » (« Rendons sa grandeur à notre planète ») et en créant en 2019 la Convention citoyenne pour le climat. Une initiative ambitieuse où le Président s’était engagé à ce que les propositions des 150 personnes qui composaient la convention soient transmises « sans filtre » au Parlement. Résultat ? Emmanuel Macron est revenu sur ses engagements et la loi climat qui a suivi a été jugée décevante. Et pas à la hauteur des enjeux : « Du gâchis », affirme Élodie Nace, porte-parole d’Alternatiba, lorsque vient le moment de décrire le quinquennat qui s’achève. « Le Haut Conseil pour le climat a demandé à la France de rehausser ses objectifs pour 2030 juste après la COP 26, et la justice a condamné deux fois l’État pour son inaction climatique et le non-respect de ses engagements, explique-t-elle. Mais le gouvernement ne se sent pas assez concerné pour y répondre et réagir. »

Les associations et organisations écologistes regrettent que le débat actuel n’investisse pas ce sujet, qui figure pourtant comme l’une des priorités des Français. Le thème identitaire, la guerre en Ukraine et le pouvoir d’achat ont successivement monopolisé toutes les attentions. En cette période, « ni les candidats ni les médias ne mettent en avant ce sujet. Ce sont nos mobilisations qui le font », explique Élodie Nace en évoquant les récentes marches « Look up », en référence au succès planétaire du film Netflix, qui se sont tenues au mois de mars. Si Gabriel Mazzolini reconnaît que « quelques candidats mettent en avant ce thème, et notamment à gauche », il ne croit pas à un éventuel changement induit par les élections : « Si on veut vraiment changer le système, on a compris qu’il fallait d’abord construire un rapport de force. »

Même son de cloche du côté du Comité Adama, du nom d’Adama Traoré, décédé en 2016 dans une caserne de gendarmerie de Persan, dans le Val-d’Oise. Un collectif qui est monté au front lors des manifestations contre les violences policières, dans la lignée des mouvements Black Lives Matter aux États-Unis. Pour Youcef Brakni, figure du comité et anciennement engagé dans la campagne d’Anasse Kazib et de son mouvement -Révolution permanente, la cause antiraciste est passée sous silence.

Il se souvient des rassemblements de juin 2020 devant le tribunal de Paris et en plein cœur de la capitale. Mais regrette surtout que, « durant cette campagne, les luttes antiracistes n’existent plus dans la bouche des candidats, même à gauche. Et même chez Jean-Luc Mélenchon ou Fabien Roussel, c’est secondaire, inexistant, ou, pire, réactionnaire ». Youcef Brakni n’espère rien de cette élection et critique encore plus « cette famille qui n’arrête pas de faire des calculs politiciens, oublie les quartiers populaires et évite de se remettre en question sur ses propres pratiques ».

« Ce quinquennat a été une suite d’attaques contre le service public, dans la continuité de tout ce qui a été fait depuis 2007 », pointe Jean-Marc Nicolas, secrétaire général de la CGT-FERC Sup (établissements d’enseignement supérieur). En toile de fond, la multiplication des projets de réformes et des lois votées affaiblissant le service public : la loi de programmation de la recherche, la loi de transformation de la fonction publique, comme le projet de réforme des retraites… Des actions politiques qui ont conduit les syndicats à descendre dans la rue de très nombreuses fois. Mais, parmi les candidats alignés au premier tour, il distingue l’insoumis Jean-Luc Mélenchon et le communiste Fabien Roussel, qui « ont pris plus position pour défendre le service public ».

Le sentiment n’est pas partagé par Olivier Milleron, cardiologue à l’hôpital Bichat à Paris et porte-parole du Collectif inter-hôpitaux : « Tous les candidats parlent de l’hôpital public, mais aucun n’est à la hauteur. » Lui a vécu la crise du covid-19 de très près, a participé aux mobilisations pour défendre l’hôpital public mis à mal depuis dès le début du quinquennat. Mais il conserve le sentiment d’avoir été confronté à un mur. « À chacune de nos mobilisations, on a eu la même réponse de la part du gouvernement : “On n’a pas d’argent magique.” Le discours a pourtant changé après la crise sanitaire et les soignants y ont cru, raconte-t-il. Mais le Ségur de la santé a été une douche froide. Il y a eu des augmentations de salaires, mais pas assez significatives pour que cela change notre vie. Et plus encore, on n’a toujours pas changé de logique : on nous parle toujours de rentabilité. » Pour ce collectif aussi, il n’est pas question de revivre ces cinq ans. « Sur le terrain, on voit que partout des lits sont fermés par manque de soignants. Rien n’a changé. »

Olivier Milleron regrette qu’aucune proposition forte ne figure dans l’un des douze programmes présents pour changer radicalement le système « fondé aujourd’hui sur la rentabilité des services publics ». Et le reproche de cette absence concerne tout autant les candidats de gauche. En bref, ces acteurs du mouvement social n’espèrent plus grand-chose de cette élection.

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