« Le Visage tout bleu », de Patrice Robin : L’un et l’autre

Avec Le Visage tout bleu, Patrice Robin revisite cinq étapes clés de son existence et va ainsi au cœur de ce qui motive son écriture, où la littérature et la fidélité à ses origines se rejoignent.

Christophe Kantcheff  • 13 avril 2022 abonné·es
« Le Visage tout bleu », de Patrice Robin : L’un et l’autre
Patrice Robin consacre un chapitre à La Petite Escalère, propriété dont les prés et les forêts sont parsemés d’u0153uvres de plasticiens.
© Eramen , Matta, collection de La Petite Escalère u00a9 Corinne Crabos.

Lors du décès brutal du fondateur des éditions POL, Paul Otchakovski-Laurens, nous avions demandé à Patrice Robin d’évoquer son souvenir (lire sur Politis.fr, 5 janvier 2018). Il avait choisi ces deux qualificatifs pour caractériser son éditeur : « solitaire » et « solidaire ». Ces deux vocables pourraient lui être tout autant attribués. « Solitaire » : c’est le sort de tout écrivain non mondain. « Solidaire » : c’est, pour Patrice Robin, issu des classes populaires, une affaire de fidélité.

Ces deux mots pourraient aussi symboliser le livre qu’il fait paraître aujourd’hui, Le Visage tout bleu. On retrouve cette même idée dans l’une des deux citations mises en exergue, deux vers de Walt Whitman : « Je chante la personne simple séparée, le Soi-même, / Cependant que j’exprime le mot Démocratique, le mot En-Masse ».

Le Visage tout bleu est un livre relativement bref. Il trace pourtant un parcours en cinq points à travers l’existence de Patrice Robin, qu’il a déjà effleurés pour certains dans ses livres précédents. Il ne s’agit en rien d’un travail récapitulatif mais d’un texte qui va au cœur de ce qui motive l’écriture de l’auteur. En cela, Le Visage tout bleu est idéal pour qui voudrait découvrir cet écrivain profond et subtil, pas suffisamment lu à notre goût et que Politis suit depuis ses débuts ou presque.

Les cinq étapes saillantes dont Patrice Robin développe les caractéristiques sont les suivantes : sa naissance (en 1953) ; l’explosion d’une batteuse à blé en 1934 dans son village natal, Beaulieu-sous-Bressuire (Deux-Sèvres) ; le suicide d’un jeune homme de 26 ans, Richard ; les ateliers d’écriture qu’il mène ; enfin, un lieu, la propriété dite de La Petite Escalère, dont les prés et les forêts sont parsemés d’œuvres de plasticiens.

S’il n’est a priori pas évident, il y a bien, cependant, un fil nécessaire qui relie ces différents chapitres. Un fil qui s’enracine dans les circonstances de sa venue au monde. Patrice Robin est né cyanosé, c’est-à-dire avec le cordon ombilical enroulé autour du cou, l’empêchant de respirer (d’où « le visage tout bleu »). Pas si grave quand l’accouchement a lieu dans une clinique. Mais le danger est bien réel quand il survient dans un petit village, loin de tout. Heureusement, son oncle Roger, forgeron, disposant de l’oxygène indispensable (pour ses soudures), celui-ci fut prestement administré au nourrisson.

Patrice Robin est resté attentif aux éventuelles séquelles dont il aurait pu être l’objet, pour certaines d’ordre psychologique. Ce qui, par voie de conséquence, a développé en lui « un intérêt tout particulier pour ces hommes et femmes aux comportements étranges, pour tout ce qui touche de près ou de loin à leur vie, et donc à celle qui aurait pu être » la sienne. Question de hasard, qui débouche sur des considérations existentielles, avec, toujours, la dimension sociale pour socle. C’est exactement le cas du second épisode. L’explosion de la batteuse en juillet 1934 à Beaulieu a tué neuf personnes. Sa mère, alors petite fille, aurait pu être la dixième victime si, comme à son habitude, elle avait joué sur le seuil de la maison familiale à ce moment-là, à deux pas de l’accident. En outre, les responsabilités de l’entrepreneur, qui, pour obtenir une production de blé plus importante, mettait en surrégime la machine, et celle du loueur de cette dernière, n’ont jamais été engagées, d’où l’absence de dédommagement aux familles paysannes des défunts.

De la même façon, l’auteur mène l’enquête sur ce qui a poussé Richard – de dix-huit ans son cadet, né dans un milieu identique au sien – à se supprimer. Leurs parcours diffèrent sur un point essentiel : la place que chacun a trouvée dans le monde. Celle de Patrice Robin a consisté, non sans difficultés, à rester fidèle à ses origines sociales tout en s’engageant dans l’univers littéraire, qui, par nature, l’en éloignait. Les deux derniers chapitres en sont le témoignage, l’un direct, avec les ateliers d’écriture, l’autre métaphorique. Patrice Robin, solitaire et solidaire. Une éthique de vie d’écrivain et de citoyen.

Le Visage tout bleu, Patrice Robin, POL, 121 pages, 14 euros.

Littérature
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