Macron et l’écologie : ce qu’en disent les écologistes

Militant·es, juristes, expert·es des questions climatiques ou environnementales ont l’expérience de cinq années de macronisme. Pour Politis, certain·es livrent leur ressenti, parfois leur ressentiment.

Vanina Delmas  • 1 avril 2022
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Macron et l’écologie : ce qu’en disent les écologistes
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Chloé Gerbier

Juriste en droit de l’environnement et cofondatrice du collectif Terres de luttes

« Le quinquennat Macron, ce sont des promesses nationales mais des destructions locales ! Les grandes stratégies climat se succèdent comme l’objectif zéro artificialisation nette. Mais, en parallèle, les projets polluants se multiplient : autoroutes, mégabassines, forêts industrialisées, entrepôts Amazon, extensions d’aéroport soutenues et financées par l’État… Nous avons aussi constaté une multiplication de textes facilitant l’implantation de sites industriels. La loi Asap (loi dite de “simplification de l’action publique” – NDLR) permet l’accélération de nombreuses procédures, donne plus de pouvoir aux préfets pour faire avancer les projets plus facilement, en se passant de certaines études d’impact ou en les mettant à la charge d’autres personnes que les promoteurs. En 2020, le gouvernement a créé les “sites clé en main”, c’est-à-dire des sites présélectionnés par l’État pour lesquels les procédures et études relatives à l’urbanisme, à l’archéologie préventive ou à l’environnement peuvent être anticipées pour attirer les industriels. Aujourd’hui, il y en 127 en France, et beaucoup portent sur des sites naturels, comme le site naturel du Carnet sur l’estuaire de la Loire. Le quinquennat Macron a porté atteinte aux droits à l’information et à la participation du public et aussi poursuivi le détricotage du droit de l’environnement. Les abandons des projets de Notre-Dame-des-Landes et d’Europacity sont des victoires à mettre au crédit des militants, pas à celui du bilan écolo de Macron. Toutes ces manœuvres du gouvernement ont fait réaliser à beaucoup de militants qu’ils ne gagneraient pas grand-chose à l’échelon national. Il y a donc un intérêt à s’organiser localement et à attaquer directement sur les territoires impactés. »

Guy Kulitza

Membre de la Convention citoyenne pour le climat (CCC)

« Au départ, je pense qu’il y avait une vraie volonté de trouver une solution face au mouvement des gilets jaunes, et que notre mandat consistant à réduire les gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2030 dans un esprit de justice sociale était sincère. Mais, comme les politiques sont complètement déconnectés, ils ont été surpris de la teneur de nos propositions, notamment du refus de la taxe carbone. Nous avons fait la démonstration que nous voulions une société garante du bien-être de la population et de la sauvegarde de l’environnement. Finalement, en tant que citoyen engagé dans aucun parti ou ONG, j’ai vécu cette séquence de la CCC comme une succession de trahisons, de mensonges, de trucages et même de reculades.

L’exemple qui m’a le plus choqué concerne les engrais azotés. Nous demandions de prélever une redevance dessus, qui serait reversée aux agriculteurs ayant entamé leur transition agroécologique. C’était une mesure bonne pour la planète, pour les agriculteurs et pour l’économie, mais tout a été battu en brèche car des lobbys et un syndicat agricole majoritaire nous ont accusés de pénaliser les agriculteurs en les taxant. On s’est rendu compte à quel point les intérêts des industriels passent avant tout.

Enfin, nous étions persuadés que notre travail à la CCC permettrait de recréer du lien entre les élus et la population. Or, le fait que le Président revienne sur sa parole du “sans filtre” puis que la loi climat et résilience ne retienne que très peu de nos propositions a détruit toute la confiance qui commençait à s’instaurer entre le politique et les citoyens. »

Arnaud Schwartz

Président de France Nature Environnement

« Emmanuel Macron a confié ne pas avoir eu conscience en début de mandat de l’enjeu que représente la préservation de la biodiversité. Et pour cause, ses résultats sur ces enjeux sont absents ou catastrophiques. Dans son programme, rien n’a changé : on a beau chercher, on ne voit rien. Il a probablement causé plus d’atteintes qu’autre chose en matière de biodiversité. Il a très largement permis la construction d’autoroutes en outrepassant tous les avis des spécialistes et des consultations citoyennes. De manière générale, il a autorisé sans limite des infrastructures nuisibles et destructrices de la biodiversité. Il a renoncé à s’engager dans la nécessaire transformation de nos pratiques agricoles, particulièrement en matière d’élevage industriel. Il n’a pas su répondre aux attentes des Français·es, tous âges et tous partis confondus, en matière de bien-être animal et d’évolution des pratiques de la chasse. La chasse à la glu, ou le broyage des poussins, pour lequel il a attendu que la technologie prenne la relève pour l’interdire, sont des exemples de pratiques cruelles exercées sur les animaux, pour lesquelles il a manqué de clairvoyance. Nous avons eu un Président très à l’écoute de certains milieux, en leur accordant gain de cause, tout en étant en total décalage avec l’opinion publique. Jusqu’ici, il n’a ouvert la porte qu’aux productivistes agricoles et à une partie des chasseurs, sans accepter d’entendre de façon contradictoire ce que les spécialistes des organisations de la société civile ont à dire. Dans quelle démocratie sommes-nous ? Une démocratie de voyous ou une démocratie apaisée ? »

François Veillerette

Porte-parole de Générations futures

« La France ne peut plus afficher qu’elle est aux avant-postes de la défense de l’environnement. Emmanuel Macron a commencé son mandat en promettant de sortir du glyphosate au plus tard en trois ans, pour ensuite rétropédaler. Aujourd’hui, il ne manifeste plus d’envie d’en interdire l’usage en France, ni de militer activement pour un non-renouvellement au niveau européen. Avec la crise sanitaire, on aurait pu croire à une prise de conscience, puisque les personnes atteintes de formes graves du covid-19 sont également parfois touchées par des maladies chroniques liées à l’environnement – qualifiées de façon aberrante de “maladies de civilisation”, et même de “maladies du progrès”. Le monde d’après est pire que le monde d’avant. Non seulement il n’y a pas de vision sur la santé environnementale, mais on a l’impression qu’Emmanuel Macron n’y croit pas. Depuis cinq ans, c’est “en marche” arrière, toute !

Le Président considère que l’efficacité technique demandée par le système agricole intensif prime sur la défense de l’environnement et de la santé. Quand il dit “ne pas avoir réussi” à stopper l’usage du glyphosate, il nous dit en réalité, “je n’ai pas réussi à trouver ce qui correspond à une demande de la FNSEA, c’est-à-dire une technologie miracle, ayant le même effet que le glyphosate, sans coûter davantage”. Et en effet le père Noël n’existe pas. Comme il n’existe pas de courage politique pour s’opposer à la FNSEA. En cinq ans, nous avons énormément régressé. Le programme du Président est pire que tout, puisqu’il a clairement réorienté la politique agricole française vers le “produire plus”, et qu’il trace la perspective d’avoir de nouvelles centrales nucléaires. »

Manuel Domergue

Directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre

« La lutte contre la précarité énergétique de ce mandat a été décevante, incomplète, tardive. Et très laborieuse, malgré les promesses du candidat, notamment celle d’éliminer 2,5 millions de passoires énergétiques en cinq ans. Avec MaPrimeRénov, 700 000 logements sont rénovés tous les ans depuis 2020, mais jusqu’ici seulement 2 500 ont bénéficié d’un bonus pour être sortis du statut de passoire énergétique. Il existe sans doute davantage de logements concernés, mais un très grand brouillard entoure l’évaluation de ces politiques publiques.

Pendant tout le quinquennat, les citoyens ont dû faire face à l’opposition du gouvernement, de l’ancien ministre du Logement Julien Denormandie, et du président lui-même. Il a fallu la Convention citoyenne pour le climat (CCC) pour que le gouvernement s’engage dans une obligation de rénovation pour les bailleurs de passoires énergétiques, et encore, avec une échéance lointaine (2025). La CCC proposait également des obligations pour les propriétaires et des aides privilégiant les rénovations globales, ce qui n’a pas du tout été entendu par le gouvernement, MaPrimeRénov ayant financé à 86 % les “simples gestes”. Autrement dit, nous avons vécu une politique “open bar” qui, pour faire du chiffre, a massifié les travaux et morcelé les aides pour des gestes simples, sans forcément de contrôle et d’efficacité. Cela a entraîné beaucoup d’arnaques et une crise de confiance très forte de beaucoup de ménages. »

Charlotte Mijeon

Porte-parole du réseau Sortir du nucléaire

« J’ai l’impression qu’Emmanuel Macron a toujours été un soutien de la filière nucléaire. Il a été élu sur un programme de réduction de la part du nucléaire : certes, il a mené à bien la fermeture de Fessenheim, qu’EDF n’aurait pas pu faire fonctionner plus longtemps dans tous les cas. Mais il est revenu sur l’arrêt des douze réacteurs prévu dans la loi [dans la programmation pluriannuelle de l’énergie – NDLR] et propose maintenant de construire six nouveaux EPR, auxquels s’ajouteront d’autres réacteurs, plus petits. Une stratégie qui est dans les tuyaux depuis 2019, voire 2018. À l’époque, déjà, Les Échos rendaient public un rapport commandé par les ministères de l’Économie et de l’Environnement qui préconisait la construction de ces réacteurs. Un an plus tard, on nous transmettait un courrier de ces deux ministères, adressé à EDF, demandant au producteur d’électricité s’il pouvait se mettre en ordre de marche pour la construction de ces EPR. On ne peut pas considérer que le chef de l’État a changé de position en fin de quinquennat : il y est simplement allé progressivement, en abattant ses cartes petit à petit. Emmanuel Macron a toujours été foncièrement pro-nucléaire. »

Lucie Pinson

Fondatrice et directrice générale de l’ONG Reclaim Finance

« Pendant ces cinq dernières années, aucune mesure, ou presque, n’a été prise pour encadrer le secteur financier. Il y a eu le règlement Disclosure, publié en novembre 2019, qui crée de nouvelles obligations de transparence en matière de durabilité pour les acteurs de marché, mais aucune régulation les contraignant à ne plus financer les énergies fossiles.

En 2018, nous avons poussé Bruno Le Maire à formuler une déclaration de Place [réunion des acteurs principaux de la place financière de Paris – NDLR], dans laquelle il a demandé aux acteurs de marché d’adopter les politiques de sortie du secteur du charbon, sous peine d’être sanctionnés par la suite. Sur ce point, il y a eu des améliorations. Concernant le pétrole et le gaz non conventionnel (gaz de schiste, sables bitumineux, forage dans l’Arctique), c’est une autre histoire : les gros acteurs de la place de Paris ont refusé de donner suite à la demande du ministre de l’Économie et des Finances, formulée en 2021. Et au lieu de les sanctionner ou même seulement de tenter de contrôler leurs agissements, Bruno Le Maire a opté pour une stratégie de diversion classique : lancer une commission sur le sujet, pour établir un rapport quant aux mesures qu’il faudrait mettre en place pour aligner les institutions financières avec l’objectif des accords de Paris. Une manière de faire semblant d’être en train d’agir, de gagner du temps, pour repousser la prise de décisions à plus tard. »

Nicolas Girod

Porte-parole de la Confédération paysanne

« Le quinquennat d’Emmanuel Macron s’inscrit dans la ligne droite des précédents. Il constitue, au mieux, un nouvel acte manqué sur la réorientation du modèle agricole ; au pire, la pérennisation d’un recul amorcé il y a plusieurs années, par rapport au nombre de paysans sur le territoire mais aussi en matière de réponse environnementale, climatique et alimentaire. Si les états généraux de l’alimentation pouvaient apparaître comme un semblant d’ouverture vers une nouvelle façon d’imaginer le modèle agricole, les propositions formulées par la suite, à travers la loi Egalim 1 et 2 mais aussi l’élaboration de la future PAC [politique agricole commune], ont démontré que le quinquennat d’Emmanuel Macron s’inscrivait dans la ligne droite des précédents. Pire, le gouvernement s’est révélé incapable de s’attaquer aux dogmes de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles] et a baissé le pavillon, par manque d’ambition et absence de volonté. Le résultat est là : nous avons perdu des centaines de milliers de paysans, et ceux qui restent ne sont pas mieux rémunérés ; nous avons reculé sur le glyphosate, sur les néonicotinoïdes, et les pratiques agricoles continuent à s’intensifier. Pour nous, c’est tout simplement un mauvais quinquennat agricole. »

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