Voyage au cœur de la diaspora noire

Rassemblant des artistes de la scène états-unienne et afro-cubaine des années 1990, Black Lives. From Generation to Generation est un superbe cri contre le racisme.

Pauline Guedj  • 4 mai 2022 abonné·es
Voyage au cœur de la diaspora noire
Une galaxie de musiciens qui dénoncent la discrimination au quotidien.
© DR montage Politis

En 1996, le saxophoniste Steve Coleman s’embarquait dans une collaboration entre son groupe, Mystic Rhythm Society, et la formation cubaine AfroCuba de Matanzas. L’objectif était de recréer du lien entre deux traditions aux racines en partie africaines : les musiques noires états-uniennes et les sonorités afro-cubaines, plus spécifiquement celles des rituels et des cérémonies de santería (une religion originaire de Cuba). L’expérience donna lieu à un grand disque, The Sign and the Seal, et à une tournée qui passa par Paris.

Ces explorations alors menées par Steve Coleman s’appuyaient en réalité sur une galaxie de musiciens tout aussi aventuriers qui développèrent des carrières solos ou de sidemen remarquées. Pour eux, il était question de renouveler le regard du jazz vers l’Afrique et sa diaspora, de produire des sons nouveaux ne boudant pas les innovations technologiques et de proposer des expériences de concerts mêlant musique improvisée, jazz et hip-hop, batá et saxophone.

Paru récemment, Black Lives. From Generation to Generation rassemble de nombreux musiciens qui brillèrent sur cette scène explosive des années 1990. Le batteur Gene Lake, le bassiste Reggie Washington, le guitariste David Gilmore, les rappeurs et poètes Sub Z et Kokayi, le pianiste Andy Milne. La liste de participants est vertigineuse et on est heureux de les retrouver collaborant avec d’autres, comme Jacques Schwarz-Bart, Grégory Privat, Stephanie McKay ou Immanuel Wilkins.

À l’origine de Black Lives, la productrice Stefany Calembert. Lorsque celle-ci lance le projet, nous sommes en pleine pandémie. Les musiciens peinent à trouver du travail et les violences raciales explosent des deux côtés de l’Atlantique. Pour elle, il s’agit à la fois de dénoncer un contexte social et de permettre aux artistes qui souffrent de la situation sanitaire de s’exprimer. « En tant que blanche, je voulais que ce projet libère le dialogue. Nous devons tous prendre conscience des réalités quotidiennes du racisme. » Le disque est un moyen de répondre à cette situation en faisant appel à des artistes qui expérimentent la discrimination au quotidien et souhaitent la dénoncer.

Foisonnant et en deux volumes, Black Lives nous fait voyager entre les continents, du Mali à New York, de la Guadeloupe à la métropole française. Les morceaux décrivent une situation tragique, des populations victimes de violences policières, des femmes qui craignent pour l’avenir de leurs enfants, des hommes et des femmes qui rendent hommage à ceux qui ont su défendre leurs droits.

Le disque contient de nombreuses pépites, des envolées à la Terence Blanchard d’Immanuel Wilkins aux sonorités percutantes d’Andy Milne et Unison (magnifique Togged to the Bricks). Des chants contestataires menés par Reggie Washington et Oliver Lake aux poèmes bluesy de Sub Z et Jean-Paul Bourelly. L’heure est à la colère, mais aussi à l’espoir. Comme une fuite au sein d’une diaspora noire qui doit sa force à la solidarité de ses représentants.

Black Lives. From Generation to Generation, Jammin’ ColorS.

Musique
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