« Pour vous combattre », de Joseph Andras : Camille Desmoulins, le combat et la Terreur

Dans Pour vous combattre, Joseph Andras met en scène la Terreur à travers le personnage complexe et magnifique de Camille Desmoulins.

Christophe Kantcheff  • 22 juin 2022 abonné·es
« Pour vous combattre », de Joseph Andras : Camille Desmoulins, le combat et la Terreur
© Leemage via AFP

Après Fernand Iveton, le Kanak Alphonse Dianou ou le jeune Hô Chi Minh, voici que Joseph Andras s’intéresse à Camille Desmoulins. Il le saisit à un moment précis, celui du début de la Terreur. Avec un T majuscule, qui est, précise Andras, une convention d’historiens. Car dans son discours de décembre 1793, dans lequel Robespierre invoque la terreur à douze reprises, qu’il lie indissociablement à la vertu, le t est minuscule.

Pour vous combattre, Joseph Andras, Actes Sud, 176 pages, 17,50 euros.
Pour vous combattre comporte sept chapitres. Autant que de numéros du Vieux Cordelier que publie Camille Desmoulins, l’un des meilleurs journalistes – tel qu’on concevait ce métier à l’époque –, entre le 5 décembre 1793 et le 3 février 1794. Le fait que Desmoulins soit homme de l’écrit – il était un orateur handicapé par un bégaiement – n’est évidemment pas étranger au fait que Joseph Andras l’ait pris pour protagoniste.

Même si la Terreur reste un épisode controversé de l’histoire de France, l’auteur ne se place ni dans le camp des contempteurs ni dans celui de la défense. Il écrit : « Je ne veux rien inventer. » Et considère la situation dans toutes ses dimensions. D’où la manière dont il a construit son récit, non uniquement centré sur ce qui se passe à Paris. Il évoque les événements de Vendée et ceux qui se déroulent aux frontières. « Partout, aux portes du pays, au profond du pays, le sang s’étale », écrit-il, après avoir parlé des « spectres » (par exemple ceux des députés de la Gironde récemment décapités) qui assaillent Paris. Mais l’auteur poursuit sans transition : « Jamais auparavant l’espèce humaine n’avait entrepris pareille tâche depuis que son crâne avait forci et qu’elle savait tailler la pierre en pointe : rendre les humains égaux entre eux. » Il y a quelque chose de monstrueux, au sens étymologique, dans la révolution : elle est en effet « contraire au plan de Dieu, aux lois de la nature ».

C’est dans ces circonstances que Camille Desmoulins en appelle à la clémence. Ses ennemis se déchaînent, les plus extrémistes, Hébert en premier lieu. Joseph Andras, à l’écriture d’une élégance raffinée (oserait-on dire aristocratique ?) tout en étant hautement politique, profite de celui-ci pour faire allusion au style : « ce criard d’Hébert, persuadé qu’il faut écrire avec ses pieds pour que le peuple daigne vous faire sien ».

L’auteur a lu de près la prose de Camille Desmoulins dans Le Vieux CordelierPour vous combattre entre ainsi finement dans ses émotions et sa pensée (1). Il montre combien cet homme, qui se voit en passionné partisan de la Révolution – et il l’est –, a en même temps développé un point de vue critique. Ce qui touche sans doute au plus près Joseph Andras, c’est son intransigeant parti pris en faveur de la liberté de la presse, de la liberté d’opinion. Il se défend aussi, parfois par l’attaque. Il s’expose. Il arrive qu’il soit maladroit.

Robespierre, l’ami de Desmoulins, est l’autre personnage d’importance du livre. Joseph Andras scrute son attitude, comment il a protégé son ancien condisciple de Louis-le-Grand, puis l’a lâché au cours d’une nuit fatidique. L’auteur prend ainsi la parole : « Demeure, dans l’univers, un ou deux mystères que les sciences peinent à dénouer : cette nuit, je dois l’avouer, compte à mes yeux comme l’un des deux […]. Combien j’aimerais m’en approcher, m’y glisser, creuser ce noir entier et m’en repaître, toucher ce que nos ennemis ont fini par faire de nous. » Phrase terrible, surtout dans un livre loin d’être anti-robespierriste, mais incontestablement passionnant.


(1) La lecture des numéros du Vieux Cordelier, accessibles sur le Net, enrichit celle de Pour vous combattre.

Littérature
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