Trop jeunes pour voter, mais pas pour militer

La dynamique autour de la Nupes a su conquérir une génération qui a soif de politique. À 15, 16 ou 17 ans, ils et elles font leurs classes, convaincu·es d’avoir un rôle à jouer.

Louis Heinrich  • 1 juin 2022 abonné·es
Trop jeunes pour voter, mais pas pour militer
Tractage sur le marché de Saint-Maurice-de-Gourdans, dans l’Ain, le 21 mai.
© Corinne Simon / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

En 2002, toute la famille d’Eliot a glissé un bulletin Laguiller dans l’urne. Si sa mère se revendique anarchiste, lui se dit « marxiste de la IVe Internationale » et incite son entourage à lire le Programme de transition de Trotski, ce « petit bouquin qui se lit très vite et qui résume ce que l’on peut changer dans la société d’aujourd’hui pour créer celle de demain ». Depuis août dernier, Eliot milite pour l’Union populaire à Mulhouse, où il réside. Sauf qu’il n’est jamais allé voter. Non par conviction, mais parce qu’à 17 ans il n’en a pas encore le droit.

Pour que sa voix soit entendue, Eliot milite avec les moyens du bord. Et particulièrement dans son lycée : « En discutant avec des jeunes militants de La France insoumise, je me suis rendu compte que je pouvais aller plus loin dans mon engagement. J’ai décidé de créer le syndicat de mon lycée. » Et si cette branche de la Voix lycéenne (1) est encore en construction, elle peut déjà se vanter d’avoir mené à bien plusieurs actions : « On a marché pour le climat et contre l’extrême droite, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes et, bien sûr, pour le 1er Mai. »

Le panel de luttes dont s’emparent le jeune syndicaliste et ses camarades n’étonne pas Sarah Pickard, enseignante-chercheuse à la Sorbonne nouvelle. Spécialiste de l’engagement politique des jeunes, elle estime que « les sujets sont plus larges et idéologiques que ceux qui mobilisaient la jeunesse il y a trente ans. À l’époque, c’était principalement l’éducation qui était au cœur de leurs préoccupations ».

Mener ces actions ne calme pourtant pas la frustration d’Eliot, qui aspire à glisser son bulletin dans l’urne. À ses yeux, autoriser le vote à 16 ans ne devrait même pas être un sujet de débat : « 18 ans, c’est arbitraire. Je ne vois pas la différence avec quelqu’un qui a deux ans de moins. Si on donnait le droit de vote à des jeunes de 16 ans, on créerait chez eux un intérêt pour la politique. Et ça pourrait même les pousser à s’engager dans des partis ou des syndicats. »

Graine de politique

Selon Sarah Pickard, une telle mesure présenterait plusieurs avantages : « Cela permettrait une plus grande représentativité. La voix des plus jeunes serait entendue. » Et puisqu’à cet âge on est souvent scolarisé, « l’école pourrait jouer un rôle et encourager l’engagement politique ». En somme, un accompagnement aux allures de formation avec un objectif : habituer les jeunes à aller voter afin qu’ils deviennent des électeurs réguliers. À l’heure actuelle, la chercheuse estime que « les mineurs disposent de peu d’options pour se faire entendre » : changer leur mode de vie, s’investir dans des partis et militer auprès de leur famille et de leurs amis pour les influencer.

Une observation qui correspond parfaitement à la situation de Soen, qui vit près de Caen : « Certes, je ne peux pas voter. Mais, si je distribue un tract et que je discute avec vingt personnes, j’aurai réussi à en convaincre certains. J’aurai participé, aussi. »  Le politicien du bahut, c’est lui : « Tout le monde sait que je suis engagé. D’ailleurs, on me charrie souvent quand on parle politique en cours de sciences économiques et sociales [SES]_. Certains camarades comprennent mon action, d’autres non. L’important, c’est d’échanger avec tout le monde. »_

« Le changement, c’est grâce à nous qu’il commence. »

À 17 ans, Soen parle déjà comme un ministre. Pas un mot de travers. Des éléments de langage rodés. Un ton soigné. Et une maîtrise des silences inspirée des plus grands de l’art oratoire. Ses modèles ? Robert Badinter et Christiane Taubira. Avec l’ancienne garde des Sceaux, Soen a un lien particulier puisqu’il fut l’un des moteurs de sa courte campagne présidentielle, avant qu’elle ne jette l’éponge faute de parrainages. S’il défend les couleurs d’Europe Écologie-Les Verts depuis ses 15 ans, le jeune homme a pris son rôle de porte-parole des Jeunes avec Taubira très au sérieux : « Je regardais ses discours à l’Assemblée nationale. Je l’admirais. Et puis elle incarne nos luttes et nos combats. La représenter dans les médias et porter sa parole a été un grand honneur », se souvient-il.

Soen a grandi au sein d’un milieu intellectuel qui a forgé sa militance. Avec des parents historiens et spécialistes de la déportation, il baigne dans les luttes progressistes depuis son plus jeune âge. « On m’a inculqué des valeurs de respect et d’entraide. Aujourd’hui, la montée de l’extrême droite me fait peur. C’est la raison de mon engagement : il ne faut pas reproduire les violences du passé. »

« Tracter avec eux »

En ce samedi 14 mai, dans le grand parc de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, difficile de ne pas tomber sur le barnum estampillé Nupes. La table dressée est recouverte de provisions. Les agapes s’annoncent riches. Ce jour-là, Clémence Guetté, investie par l’union de la gauche dans la 2e circonscription du département, lance sa campagne pour les législatives.

Paola, 15 ans, élève de seconde à Paris, s’est déplacée pour l’occasion. Les yeux et les oreilles grands ouverts, son gobelet à la main, elle est au premier rang de la petite assemblée qui s’est constituée devant la tente où s’enchaînent les prises de parole. C’est un jour un peu particulier pour elle : « C’est la première fois que je milite ! » se réjouit-elle.

Paola a toujours été intéressée par la politique. En 2017, déjà, elle s’était passionnée pour la campagne présidentielle. Elle n’avait que 10 ans à l’époque. Frustrée de ne pouvoir discuter de politique qu’avec sa famille et ses amis, elle a décidé de sauter le pas cet après-midi. « J’avais envie d’aller plus loin en rencontrant des gens, dans une démarche très humaine. Et je voulais que mon premier acte politique se passe en banlieue. Je trouve ça plus intéressant », se justifie la jeune Parisienne.

Quand Paola est arrivée, elle ne connaissait personne. Mais les militants rencontrés sur place l’ont rapidement mise à l’aise. « Le groupe avec qui j’ai discuté m’a très bien intégrée parce qu’on a une vision similaire. On pense la même chose et ça permet de sympathiser, d’échanger », raconte l’adolescente. Et l’ambiance fédératrice qui règne ici l’a confortée dans son idée : « Je reviendrai tracter et faire du porte-à-porte avec eux sans soucis ! » sourit-elle.

Éco-anxiété

Et si Paola ne devait retenir qu’un seul thème politique sur lequel se mobiliser, ce serait « le climat ». Elle estime que « l’écologie est le sujet sur lequel les gens sont le moins renseignés ». Et se sent l’obligation de contribuer en allant discuter avec celles et ceux qui en savent le moins pour les convaincre.

Même constat pour Arthur, 17 ans. Dans sa jeune vie de militant, c’est d’abord la question du climat qui l’a poussé à s’investir : « J’aimerais que l’écologie soit le sujet principal de notre société, que l’humain passe avant l’économie. » Engagé au sein du collectif Youth for Climate, il avoue « être stressé par les effets du réchauffement climatique ». Et exhorte les décideurs à agir : « Nous, on n’a pas encore 18 ans. Ce n’est pas à nous de trouver des solutions. Mais on peut témoigner et montrer ce qui ne va pas. Le changement, c’est grâce à nous qu’il commence. »

Scolarisé à Pau, Arthur s’investit largement dans les campagnes de La France insoumise. Au point de sécher certains cours pour aller militer : « Il y a des matières qui ne m’intéressent pas. À la place, je vais tracter et organiser la stratégie pour les législatives. » Parce que, depuis novembre, celui qui se voit bien « briguer quelques mandats, genre député », a des responsabilités : c’est lui qui a fondé le groupe d’action des Jeunes Insoumis de sa ville. Et quand il se rend au lycée, le garçon s’amuse à citer Jean-Luc Mélenchon dans ses copies de philo ou de SES : « Les profs sont au courant de mon engagement. Ils ne me sanctionnent pas à cause de ça. Et s’ils le font, tant pis : je suis un militant avant d’être un élève. »

(1) Syndicat lycéen créé en 2021, qui s’affirme dans la continuité de l’Union nationale lycéenne, qui a cessé ses activités à la suite de son redressement judiciaire en février 2021.

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