Une belle promesse démocratique

Certes, Mélenchon ne sera pas Premier ministre, mais il est possible, sinon probable, que la Nupes prive Emmanuel Macron d’une majorité absolue qu’une routine pseudo-démocratique semblait lui promettre. Et voilà qui change tout.

Denis Sieffert  • 14 juin 2022
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Une belle promesse démocratique
© Adrien Fillon / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Allons à l’essentiel. Peu importe finalement que le ministère de l’Intérieur ait volé quelques voix à la gauche. Cette petite rapine électorale est bien dans la tradition de la Ve République. Darmanin s’inscrit dans la lignée de ses illustres prédécesseurs Poniatowski et Pasqua, qui s’y entendaient pour transformer des défaites en victoires. L’essentiel, c’est que la Nupes a gagné politiquement ce premier tour des législatives et qu’elle ne peut plus perdre le second, quoi qu’il arrive. Certes, Mélenchon ne sera pas Premier ministre, mais il est possible, sinon probable, que la Nupes prive Emmanuel Macron d’une majorité absolue qu’une routine pseudo-démocratique semblait lui promettre. Et voilà qui change tout. La Nupes est installée comme principale force d’opposition, et le Président va devoir quémander les voix de la droite LR pour imposer ses projets. « On a souvent besoin d’un plus petit que soi » dit la fable. Pire : il ne pourra rien refuser à cette force d’appoint, ni à son faux ami Édouard Philippe. Finies donc les interrogations métaphysiques sur la nature hybride de la Macronie. Elle n’est qu’une variété de la droite d’un impeccable classicisme. Une nuance de libéralisme. C’est évidemment pour nous une confirmation plus qu’une nouveauté. Le véritable changement se trouve en face. La Nouvelle Union populaire nous propose une « autre gauche », plurielle mais unie. La gauche, tout simplement. Celle dont on avait perdu le goût. Ce retour à des fondamentaux, oubliés depuis les premières années de la présidence Mitterrand, devrait provoquer des réactions en chaîne.

En premier lieu, cela devrait revigorer le Parlement, donc la démocratie. Le combat parlementaire devrait retrouver un sens que tout le monde peut comprendre, en relation avec les mouvements sociaux et écologistes. On peut attendre de cette situation nouvelle qu’elle arrête, à terme, l’hémorragie démocratique. Car le désintérêt pour les élections est en grande partie la conséquence de ce qu’on a appelé ici l’indifférenciation politique. Cette partie de ping-pong gauche-droite, du pareil au même, tant les uns et les autres se ressemblent une fois parvenus au pouvoir. Valls a poussé la logique jusqu’au bout. Mais il n’a pas été le seul, loin s’en faut. Jean-Yves Le Drian et tant d’autres de moindre notoriété ont mis les points sur l’« i » de reniement. Ceux-là ont conclu que la gauche n’était plus envisageable dans un univers libéral. Il faut apporter la preuve du contraire. Si la promesse de la Nupes est tenue, la conflictualité politique pourra retrouver un sens pour les jeunes et les classes populaires. On pourrait alors cesser de regarder l’abstention comme une fatalité. L’un des premiers combats de cette gauche coalisée devrait être institutionnel. Il faut de la proportionnelle. Il faut aller vers une responsabilité du Président devant le Parlement. Il faut décorréler dans le temps les législatives de la présidentielle. Bref, il faut aller vers une autre république qui réconcilie les institutions avec la rue. La logique voudrait même que l’on en finisse avec cette élection jupitérienne du Président au suffrage universel, qui phagocyte toutes les énergies démocratiques.

Parmi les réactions en chaîne que l’on peut aussi espérer, il y a la possibilité qu’une vraie alternative politique se dessine pour les prochaines échéances électorales. Une alternative qui ne nous viendra plus de l’extrême droite, et qui nous épargnera un dilemme funeste entre le pire et le moindre mal, qui ne peut que mal finir… Surtout que, l’air de rien, le Rassemblement national est l’autre vainqueur de ce 12 juin, et qu’il est toujours bien là, à l’affût. Ce qui, au passage, devrait imposer à la droite macronienne qu’elle fasse son devoir moral – « républicain », comme ils disent – en appelant clairement à voter Nupes partout où un candidat de la Nouvelle Union est face au Rassemblement national.

Au total, on pourrait donc cesser de regarder notre vie politique comme une marche inexorable vers l’abîme. Ce qui n’est pas rien. On me dira que je spécule sur un deuxième tour qui n’est pas joué. Mais les lignes de force de ces élections sont déjà là, gravées dans le marbre. Supposons même que Macron arrache une majorité absolue, celle-ci sera si fragile qu’elle vacillera à chaque débat. Le moindre frondeur issu de la Macronie pourra faire trembler l’Élysée. Il y a donc tout lieu de penser que l’on entamera le 20 juin un autre chapitre, infiniment plus vivant, de notre vie politique. Un seul événement pourrait transformer l’espérance en cauchemar : que la Nupes se disloque dès le lendemain de ces législatives. Que l’une ou l’autre de ses composantes dise à Mélenchon « au revoir et merci ». Ou que Mélenchon lui-même, devenu gourou sans mandat, impose à ses alliés ce que nous aimons le moins en lui : cet imaginaire géopolitique passéiste qu’il a su mettre en veilleuse à partir de l’invasion de l’Ukraine, et une tendance à l’hégémonie. Mais le Mélenchon nouveau s’est convaincu de la force de l’union, à laquelle il n’avait pas cru en 2017. Il sait que le succès de la Nupes, ce n’est pour l’instant que cela : l’unité. Il n’y a pas eu plus d’électrices et d’électeurs pour la Nupes cette fois qu’au total des partis de gauche en 2017. Le changement est politique. Il faut qu’il devienne sociologique. Le défi est immense. Un sursaut de mobilisation dimanche créerait déjà des conditions favorables.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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