Guerres sales et sales guerres

Dénoncer les exactions russes en Ukraine n’empêche pas le président de la République de maintenir les ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, qui mène au Yémen un conflit pourtant tout aussi atroce.

Sébastien Fontenelle  • 21 septembre 2022
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Guerres sales et sales guerres
© Emmanuel Macron recevant Mohammed bin Salman Al Saud, prince héritier, vice Premier ministre et ministre de la Défense d'Arabie Saoudite à Paris, le 28 juillet dernier. (Photo : Xose Bouzas / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.)

Pour l’actuel président de la République française, il y a semble-t-il deux types de guerres : celles qu’il juge intolérables et celles qu’il paraît trouver nettement plus acceptables. Par exemple, quand l’armée russe attaque l’Ukraine, où vivent, comme l’ont répété à l’envi (et jusqu’à la nausée) certains commentateurs, des gens « qui nous ressemblent » et« qui conduisent les mêmes voitures que nous », Emmanuel Macron trouve ça insupportable (1) : scandalisé, il promet, sur Twitter, que les crimes perpétrés par les troupes de Poutine ne resteront pas impunis.

Mais quand ce sont des militaires saoudiens qui bombardent des civil·es yéménites, le chef de l’État français s’abstient de tout commentaire, que ce soit sur Twitter ou ailleurs – un peu comme s’il trouvait cette guerre sale où des bombes saoudiennes pleuvent sur des cibles civiles moins dégueulasse que la sale guerre où des bombes russes pleuvent sur des cibles civiles.

Surtout, Emmanuel Macron « assume » les ventes d’armes françaises à Riyad, qui se poursuivent sans interruption depuis son installation dans l’Élysée : c’est ce que vient encore de confirmer le site d’investigation Disclose, en publiant, le 15 septembre, le dernier rapport annuel du ministère des Armées sur ces exportations, qui porte donc sur les ventes effectuées en 2021 et qui avait été transmis aux parlementaires français au mois de juillet dernier (2).

Emmanuel Macron est scandalisé par les crimes des troupes de Poutine, mais assume les ventes d’armes françaises à Ryad.

Curieusement, presque personne, dans la presse ou les médias, ne s’est fait l’écho de cette publication. Et c’est dommage, car cet édifiant document confirme (3) que l’Arabie saoudite, qui mène donc au Yémen un conflit atroce ayant provoqué depuis 2015 la mort de plusieurs centaines de milliers de victimes, principalement civiles, reste, avec 381 millions d’euros de commandes en 2021, le cinquième importateur mondial d’armes françaises.

À lire > Ventes d’armes : le sale commerce de la France

Emmanuel Macron continue donc de livrer des armes à des acheteurs dont il sait pertinemment qu’ils sont soupçonnés de commettre des crimes tout à fait comparables à ceux que perpètrent les armées russes en Ukraine, et que lui-même dénonce très (justement et) catégoriquement. Mais des exactions de ces fidèles clients saoudiens, donc, il ne dit mot.


(1) Quand Poutine massacrait plutôt des musulman·es tchétchènes ou des Syrien·nes, ça passait beaucoup mieux : il restait invité à Brégançon, comme en 2019.

(2) En principe, ce document est rendu public aussitôt après avoir été communiqué aux député·es et aux sénateurs et sénatrices. Mais, cette année, il n’a pas été mis en ligne par le ministère : c’est ce qui a décidé Disclose à le publier.

(3) Ce même rapport relève que le premier et principal client de l’industrie française de l’armement est encore et toujours la dictature égyptienne du maréchal Sissi, dont Amnesty International comptabilise année après année les innombrables atteintes aux droits humains, et qui, en 2021, a « commandé pour plus de 4,5 milliards d’euros d’armements made in France ».

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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