Le pathétique et passionnant appel au secours d’Alex Türk, président de la Commission nationale Informatique et liberté

Dans son rapport rendu public, et dans une grande indifférence, la Commission nationale informatique et libertés démontre avec prudence et efficacité à quel point la "grande surveillance" de nos vies achève de se mettre en place alors que cette CNIL se déclare impuissante à réglementer la vidéosurveillance développée à Paris et ailleurs par la ministre de l'Intérieur.
Claude-Marie Vadrot  • 14 mai 2009
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Il y a une quinzaine d’année encore, le rapport annuel de la Commission Nationale Informatique et libertés (CNIL), dans une société moins surveillée et fichée qu’aujourd’hui, faisait les grands titres des médias. Il ne reste plus grand chose de cet engouement : comme si, de la majorité des citoyens à la majorité des journalistes, était venu le temps de la résignation, de l’habitude…

Pourtant, la lecture du rapport d’activité de la CNIL pour 2008, rendu public hier, une fois dépoussiéré de sa langue que l’on qualifiera soit de diplomatique soit de bois, selon son choix, est édifiant. Des fichiers de la police (le STIC) à ceux de la gendarmerie (JUDEX) en passant par les fichiers privés, les 38 pages du rapport racontent comment les citoyens sont surveillés, étiquetés et promis à des interdictions professionnelles.

Dans un encadré intitulé « près de chez nous », la CNIL rappelle à quel point l’information de nos vies devient un risque permanent.
Novembre 2007 : des cédéroms contenant les données bancaires de 25 millions de contribuables sont égarés par les services fiscaux britanniques….

Avril 2008, la première banque britannique perd un cédérom contenant des informations sur 370 000 de ses clients…

Août 2008, un ordinateur contenant les données bancaires d’un million de clients britanniques est vendu pour 44 euros sur le site d’enchères eBay…

Dans le même temps, un fichier comportant les noms des 84 000 prisonniers dont ceux de 10 000 personnes « à surveiller en priorité pour leur comportement délictueux prolifique » a été égaré par les autorités britanniques….

En août 2008, la presse allemande révèle qu’il est possible d’acheter sur Internet des fichiers de 6 millions de données confidentielles pour 850 euros…..

Ces failles de sécurité, graves, ont démontré que la protection des données n’était malheureusement pas toujours prise au sérieux par les entreprises et les administrations. Mais elles ont eu pour effet -heureux, si l’on peut dire- de sensibiliser l’opinion et les pouvoirs publics sur la nécessité de renforcer non seulement les moyens des autorités de
protection des données mais aussi le cadre juridique existant.

Mais avant les mots prudents du rapport, le sénateur Alex Türk, peu suspect de militer dans les troupes « anacho-gauchistes » dénoncées par la ministre de l’Intérieur, écrit notamment ce que l’on peut interpréter comme un véritable appel au secours même s’il est connu que chacun des mots a été soigneusement pesé:

« *Plus aucun secteur d’activité, plus aucune parcelle de notre vie individuelle et collective, n’échappe désormais au développement et à la pression des technologies nouvelles de l’information. Dès lors, plus aucun aspect de la vie en société n’échappe à la réflexion et à l’action de notre commission. C’est dire combien je mesure le poids de nos responsabilités, mais aussi l’intensité des attentes de nos concitoyens et l’exigence de la demande des pouvoirs publics.

Comment faire face ? C’est simple : il faut être indépendants, compétents et efficaces !

Nous devons être indépendants. A ce titre, l’année que nous venons de vivre a été, une nouvelle fois, mouvementée puisque nous avons dû faire face à une offensive survenue sous la forme d’un amendement parlementaire remettant en cause gravement notre budget. Mais, en même temps, le Gouvernement nous apportait un soutien sans réserve en repoussant l’essentiel de cet amendement et en nous accordant une augmentation substantielle de notre budget de personnel et de fonctionnement.
Quoiqu’il en soit, ma conviction est faite : nous ne pouvons plus continuer ainsi et il est devenu absolument nécessaire de mettre en place une nouvelle formule de budget garantissant notre indépendance (…) Dans ce présent rapport, on trouvera une présentation de ce projet appelé « financement à l’anglaise ». Dans le même esprit, nous avons été amenés, dans le cadre du débat relatif à la création, lors de la révision constitutionnelle de juillet 2008, d’un Défenseur des droits fondamentaux, à exposer les raisons pour lesquelles en aucune manière notre Commission ne pourrait se voir soumise à un pouvoir hiérarchique émanant de celui-ci.
Mais il est un moyen à la fois symbolique et concret, sur le plan juridique, de mettre en exergue cette légitimité : il s’agirait dans une éventuelle prochaine révision constitutionnelle, de reconnaître le droit à la Protection des données personnelles, au titre de nos droits fondamentaux, comme l’ont fait, à ce jour, 13 Etats membres de l’Union européenne. Mais ceci est une autre histoire… et un autre combat.* »

Plus de commentaires serait inutile…

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