« Looking for Eric » de Ken Loach ; « Irène » d’Alain Cavalier

Christophe Kantcheff  • 19 mai 2009
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Avec ses frères, Éric Cantona a récemment créé une maison de production. Pour la lancer, il a eu l’idée d’un film dont l’histoire porterait sur ses relations avec ses fans. Quel réalisateur anglais serait le mieux placé pour le tourner ? Ken Loach, bien sûr, passionné de football. Qui accepte. Et voilà Looking for Eric sur la Croisette. Film sympathique, mais un Ken Loach dispensable.

Illustration - « Looking for Eric » de Ken Loach ; « Irène » d'Alain Cavalier

Le scénario est artificiellement conçu pour qu’Éric Cantona, dont la palette de jeu est à peu près aussi développée que celle de Johnny H., y trouve sa place. Le « dieu » Cantona (le terme vaut ici dans son sens littéral) apparaît auprès du personnage principal du film, un facteur à la dérive (Steve Evets), pour lui délivrer des conseils existentiels sous forme de sentences plus ou moins byzantines. L’ensemble est parfois drôle, parfois un peu appuyé. Le meilleur reste les séquences où l’on revoie une dizaine des plus beaux buts de l’avant-centre de Manchester United, et l’action de toute sa carrière que celui-ci préfère : une passe !

« Il y a mille personnes dans la salle, il y aura donc mille films » . Le propos est d’Alain Cavalier lors de la courte présentation qu’il a faite avant la projection de son nouveau film, Irène , sélectionné à Un Certain regard. Que chaque spectateur, en fonction de multiples critères qui lui appartiennent, fabrique son propre film, ou plus précisément sa propre vision d’une œuvre, c’est une chose. Mais il est aussi possible de dire que chaque film « fabrique » ses propres spectateurs, dans le sens où il demande d’entrer dans son jeu, de se rendre réceptif à ses spécificités formelles et d’en saisir les sens qui en émanent. Les œuvres les plus fécondes sont d’ailleurs celles où cette dialectique est la plus active. Or, de ce point de vue, Irène sollicite en permanence celui qui le reçoit, celui à qui il s’adresse.

Irène est un nouveau film autobiographique d’Alain Cavalier, qui s’inscrit dans la démarche que le cinéaste a adoptée maintenant depuis plus de vingt ans, tourné avec une petite caméra, seul, au jour le jour comme on tient un journal, à la différence qu’ensuite intervient le montage, qui donne sens aux fragments tournés et recomposés. Son sujet : la femme qui fut sa compagne pendant trois ans, entre 1970 et 1972, et qui trouva la mort, à 37 ans, dans un accident de voiture : Irène.

Illustration - « Looking for Eric » de Ken Loach ; « Irène » d'Alain Cavalier

Dit comme cela, le film pourrait s’annoncer simple et limpide. Il est en réalité foisonnant, mystérieux, et garde une opacité non pas absconse, mais qui incite à tenter de pénétrer toujours plus en son cœur. Si le film ainsi résiste ou s’échappe alors qu’on croit enfin le cerner, c’est d’abord parce qu’il se cherche lui-même. Alain Cavalier pose explicitement la question : comment faire ce film sur Irène, et l’entreprise peut-elle être menée à son terme ? Il s’interroge sur la forme qu’il peut prendre, et filme alors un tapis comme s’il essayait de discerner l’image qui s’y cache et qui lui livrerait la solution.

Après avoir envisagé un film par procuration (avec une jeune femme d’aujourd’hui) ou le recours à la fiction, le cinéaste s’engage dans des récits entrecroisés, notamment celui, minutieux, du dernier jour de vie d’Irène, celui du premier jour de leur rencontre, mais aussi celui du temps qui sépare ces deux dates, autrement dit, le récit de leur amour. Un amour intense, qui n’excluait ni la rudesse ni les incompréhensions. Un amour dont Alain Cavalier évoque la complexité, voire l’énigme, en particulier à partir du journal intime qu’il a tenu durant ces années entre 1970 et 1972.

Et puis, au fur et à mesure, le film prend corps, tandis que l’image d’Irène devient elle aussi de plus en plus précise, et émouvante. Une image spirituelle, suscitée par l’imaginaire, car c’est seulement au bout d’une heure que la jeune femme, d’une beauté fulgurante, apparaît en photo, quand celle-ci ne peut plus brouiller ou fixer l’image d’Irène qu’Alain Cavalier a fait surgir par d’autres voies.

Le cinéaste avait raison : Irène est un film que le spectateur va (re)construire. Je me surprends, plusieurs heures après sa projection, à en trouver encore mille résonances qui demandent à être interrogées. C’est un fait : je n’en ai pas fini avec ce film, comme Alain Cavalier, avec le souvenir d’Irène.

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